Regards sur Micberth - Mot-clé - jargonaphasieCe site est consacré à M.-G. Micberth (1945-2013) : sa vie, son œuvre, sa pensée.2024-03-18T20:50:19+01:00urn:md5:ac4b6ea9a30e8880b48c8c986eb72543DotclearL'examen psychiatrique en questionurn:md5:7a04280cd3142c13dbbfe25b007d48322018-09-25T20:17:00+01:002019-03-18T21:49:21+00:00AMIci et làA.D.G.Dr FerrandDr Fromentyexamen psychiatriqueGilles CormeryjargonaphasieJean MeunierJean Royerjuge MartyMai 68MicberthNathalie Saint-CricqpsychiatresRévolution 70 <p align="JUSTIFY" style="text-indent: 0.5cm; background: #ffffff">L'épreuve pour abaisser,
humilier l'opposant fait parler d'elle ces temps-ci, mais elle ne
date pas d'hier. Ainsi Micberth dut-il l'affronter dans les années
60. Rappelons que<a href="http://www.pearltrees.com/dadavidov/rip-jean-royer-vie-oeuvre/id2682931#l25"> Jean Royer</a>, maire de Tours, lui avait confié
l'organisation d'une partie des <a href="http://micberth.org/index.php?post/2018/05/08/Mai-68-%C3%A0-Tours">activités artistiques et culturelles
de la ville</a> pour la saison 1967-1968. Aussi, devenu « homme de
spectacle » avait-il mis en scène de nombreux <em>dégagements
autobusiaques </em>et spectacles divers sous le signe de la dérision
et de la démystification, ouvrant la voie au café-théâtre. Ses
collaborateurs et lui militent alors pour une révolution des mœurs,
de la pensée sociale, de la morale, de la politique et entreprennent
un « déconditionnement » de la société. Puis arrive
Mai 1968. Micberth lance alors le 12 mai, le premier numéro de
<em>Révolution 70</em>, journal provocateur et pamphlétaire dont
<a href="http://micberth.org/index.php?post/2014/05/01/La-divine-surprise2">A.D.G</a> est le rédacteur en chef. Quatre numéros verront le jour en
1968, le quatrième (2 juin 1968) étant celui de trop. Micberth y
écrit notamment : <em>« Ne vous laissez plus enculer par
des poulitichiens galeux, vrombisseurs honnis. Informez-vous
travailleurs, ceux qui profitent de vos revendications légitimes
pour leurs ambitions politiques personnelles ne doivent plus vous
représenter. » </em>Cerise sur
le gâteau, le journal publie un photomontage (de mauvais aloi...) où
la jeune Anne Frank demande qu'on lui envoie des caramels (mous) si
possible et des illustrés pour adoucir son sort.
</p>
<p align="JUSTIFY" style="text-indent: 0.5cm; background: #ffffff">
Micberth
écrit dans « Pardon » : <em>« Nous
eûmes, tout à la fois, contre nous, la droite, la gauche, le
centre, en passant par les extrêmes, et bien évidemment les
pouvoirs publics. La presse locale, inféodée à François
Mitterrand en la personne du président-fondateur de </em>La
Nouvelle République<em>, l'ancien ministre Jean Meunier, nous
dénonça à la vindicte populaire, dans un article intitulé
« Inadmissible !... » et réclama nos têtes aux
autorités. » (NDLR : </em>Jean
Meunier, vous savez, le grand-papa de la petite <a href="http://micberth.org/index.php?post/2016/06/08/Nathalie-Saint-Cricq">Nathalie
Saint-Cricq</a>...)</p>
<p align="JUSTIFY" style="text-indent: 0.5cm; background: #ffffff">
Jean
Royer convoque Micberth pour lui dire qu'il se désolidarise de son
action. <em>« Dans nos correspondances et nos articles,
nous avions dénoncé tous ceux qui avaient fait la gloire
« scabreuse » de notre région depuis trente ans. Une
telle démystification, un tel viol des usages ne pouvaient rester
impunis. Et nous fûmes contraints de quitter la ville de Tours, lieu
principal de nos « méfaits ».</em></p>
<p align="JUSTIFY" style="text-indent: 0.5cm; background: #ffffff">
Micberth
est alors « invité » à se présenter (le 7 octobre
1968) au cabinet du juge d'instruction Marty en tant qu'inculpé
d'outrages aux bonnes mœurs par voie de presse. Le juge demande un
examen psychiatrique du prévenu avant la rencontre. Il n'a
retenu comme délit que le photomontage avec la petite Anne parmi
tous les possibles.</p>
<p align="JUSTIFY" style="text-indent: 0.5cm; background: #ffffff">
Dans un premier temps, mauvais
tête, Micberth ne répond pas à la convocation des médecins
experts chargés de l'examiner et se fait engueuler par son avocat
qui lui enjoint de répondre à la seconde convocation : « Je
vous conseille très vivement de répondre à cette seconde
convocation du 28 août. M. Le Juge d'Instruction vous a indiqué
dans quel esprit cette commission des médecins experts avait été
faite et vous ne sauriez vous en formaliser. D'autant qu'elle est
prise dans votre intérêt, car elle ne peut que vous servir. »
</p>
<p align="JUSTIFY" style="text-indent: 0.5cm; background: #ffffff">
Il obtempère finalement et se
retrouve devant le Dr Ferrant et le Dr Fromenty qui procèdent à son examen psychiatrique afin de répondre aux questions suivantes :
« 1°) L'examen du sujet révèle-t-il chez lui des anomalies
mentales ou psychiques ? Le cas échéant les décrire et
préciser à quelles affections elles se rattachent. 2°)
l'infraction qui est reprochée au sujet est-elle ou non en relation
avec de telles anomalies ? 3°) Le sujet présente-t-il un état
dangereux ? 4°) Le sujet est-il accessible à une sanction
pénale ? 5°) Le sujet est-il curable ou réadaptable ? »</p>
<p align="JUSTIFY" style="text-indent: 0.5cm; background: #ffffff"><img src="http://micberth.org/dotcl/public/.censure_m.jpg" alt="censure.jpg" style="margin: 0 auto; display: block;" /></p>
<p align="JUSTIFY" style="text-indent: 0.5cm; background: #ffffff"><span style="text-indent: 0.5cm;">Voici quelques extraits du
rapport (établi le 31 août 1968) qui se passent de commentaires ou presque.</span></p>
<p align="JUSTIFY" style="text-indent: 0.5cm; background: #ffffff">
« <em>Les faits.</em> (…)
Dès le début des événements de Mai 1968, accompagnant les
manifestations de la révolte estudiantine, l'inculpé a sorti 4
numéros d'un nouveau journal <em>Révolution 70</em> destiné selon lui
à défendre le gaullisme, à confondre ses adversaires. (...)</p>
<p align="JUSTIFY" style="text-indent: 0.5cm; background: #ffffff">
« <em>Antécédents de
l'inculpé</em>. (…) Il est né à Tours en 1945. Son père est
mécanicien et en bonne santé. Sa mère, 49 ans, est bien portante.
Il a une sœur 30 ans, mariée à un peintre en bâtiment, mère et
bien portante. Lui-même s'est marié et a une fille de deux ans et
demi qu'il paraît chérir. Il a déclaré faire bon ménage et avoir
une sexualité normale. Il a été dès huit ans à l'école, puis au
lycée ; mais a rapidement contesté la valeur de l'enseignement
qu'on y donnait, a cessé de le fréquenter et a suivi la voie
publicitaire. (...)</p>
<p align="JUSTIFY" style="text-indent: 0.5cm; background: #ffffff">
« <em>Examen de l'inculpé</em>.
C'est un homme de taille moyenne, mince, en très bonne santé. A la
manière de nombreux adolescents actuels il porte les cheveux très
longs et une barbe assez longue, respectée des ciseaux. Il est
souriant et poli, mais demande la permission de fumer, ce qu'il fera
sans cesse au cours de l'examen. Il est vêtu de noir, avec une mise
un peu recherchée. Il parle d'une voix douce, sans colère et sans
réticence. (…) La vulgarité, la pornographie et la scatologie des
gravures de son journal ne sont pour lui que des symboles. Ce qu'il
veut, c'est l'éducation de l'homme que les méthodes officielles
d'enseignement abrutissent. Comme nous l'avons déjà dit sur le plan
pratique, son intelligence est d'un niveau normal. Probablement
supérieur à la moyenne. Mais c'est un autodidacte, qui emploie
souvent de grands mots dont il ne connaît pas le sens exact. <em>(NDLR :
Là, tous ceux qui ont connu Micberth et l'ont entendu s'exprimer
hurlent de rire ! Micberth aimait les mots et s'exprimait avec
très grande clarté, dans une langue choisie et imagée. Il aurait
dû venir avec son dictionnaire en poche. Et pourquoi ce mépris pour
l'autodidactisme ?)</em> (…) Il semble que la vague
révolutionnaire qui a soulevé nombre de jeunes de Mai 1968 ait
brusquement libéré chez l'inculpé ce fonds ordurier tenu en
tutelle jusqu'ici dans son inconscient, et qui a symbolisé sa
libération politique. L'examen physique ne montre chez lui aucune
maladie. L'examen neurologique ne montre aucun signe de lésion
organique des centres nerveux. »</p>
<p align="JUSTIFY" style="text-indent: 0.5cm; background: #ffffff">
Et les experts de conclure que
le personnage n'est pas dangereux, qu'il est accessible à une
sanction pénale et réadaptable. Ouf !</p>
<p align="JUSTIFY" style="text-indent: 0.5cm; background: #ffffff">
Pour ce qui concerne les textes
incriminés... c'est une autre histoire. Afin d'établir leur
rapport, les psychiatres n'examineront pas les articles de Micberth
mais ceux de ses collaborateurs. Micberth écrit : <em>« On
décela dans mes textes de la jargonaphasie schizophrénique. Et
cette affirmation prend toute sa saveur quand on sait que pour
appuyer cette hypothèse, les psychiatres prélevèrent, dans les
publications éditées par moi, des textes de mon jeune collaborateur
Gilles Cormery*. Cela relevait du canular et ne fit qu'accentuer ma
révolte. Je résolus de m'opposer de toutes mes forces à cette
inculpation grotesque. Le juge Marty me fit connaître, lui-même,
ses sentiments sur cette affaire et me convainquit qu'il ne pouvait
passer outre les décisions du procureur de la République. (...)</em></p>
<p align="JUSTIFY" style="text-indent: 0.5cm; background: #ffffff">
<em>« Je devais par
n'importe quel moyen, éviter le jugement du tribunal correctionnel,
car je savais la magistrature prévenue contre ma personne, et rien
n'aurait pu faire entendre raison à des individus téléguidés,
sournoisement conditionnés à juger sans nuances. Prenant le
contre-pied, je publiai une revue scatologique, glauque, aux relents
caséeux </em>(NDLR : en janvier
1969)<em>, qui traînait la magistrature dans la boue la plus
« gadouilleuse », ne me privant pas de déféquer sur des
hommes, comme je l'ai écrit plus haut, sans dignité et sans
honneur. Curieusement, la loi ne fut pas appliquée. Jamais pourtant,
dans notre pays, un homme n'avait osé franchir de telles limites.
Jamais encore on ne s'était risqué à déverser de telles ordures
sur les magistraillons. Enfin, mon affaire vint en audience.</em></p>
<p align="JUSTIFY" style="text-indent: 0.5cm; background: #ffffff">
<em>« Pendant que je me
prélassais dans un bain chaud, mes collaborateurs, employant une
technique que je ne puis révéler ici, firent repousser l'audience.
J'avais télégraphié au président du tribunal correctionnel que je
ne pouvais me rendre à sa convocation, étant retenu à la foire
pornographique de Copenhague. »</em></p>
<p align="JUSTIFY" style="text-indent: 0.5cm; background: #ffffff">
Quelque temps plus tard, le
général de Gaulle démissionnait. Georges Pompidou, une fois élu,
ordonna une amnistie générale. <em>« Son élection me tira des
griffes de la justice qui, entre-temps, m'avait envoyé à domicile
un nouvel expert psychiatre. »</em></p>
<p align="JUSTIFY" style="text-indent: 0.5cm; margin-bottom: 0cm; background: #ffffff"><em><br /></em></p>
<p align="JUSTIFY" style="text-indent: 0.5cm; margin-bottom: 0cm; background: #ffffff"><em>*
Gilles Cormery (1950-1999), peintre et poète tourangeau, fut enfermé
à la fin de sa vie en raison d'une « paraphrénie
fantastique » particulièrement délirante (les psy de Tours
avaient donc vu juste). Remis en liberté, il se consacra à la
peinture jusqu'à sa mort hélas prématurée.</em></p>
<p align="JUSTIFY" style="text-indent: 0.5cm; margin-bottom: 0cm; background: #ffffff">Sources : Rapport d'examen psychiatrique par les Drs Ferrant et Fromenty. Micberth, « Pardon de ne pas être mort le 15 août 1974 ».</p>