Cinquante années séparent ces deux photos : Micberth sur un banc, saisi sur le vif en août 2011 et Céline, dans la même attitude, immortalisé par le photographe Boris Lipnitzki vers 1950. Les deux documents se côtoient dans mes fichiers. Simple coïncidence qui m’interpelle. Le rapprochement est-il osé ?
Céline a certainement joué un rôle fondamental dans la vie de Micberth, qui le découvrit à l’âge de 12 ans, à travers « Mort à crédit » (et non « Voyage au bout de la nuit », comme on l’a souvent écrit). C’est alors « un écrivain maudit ». Micberth découvre dans ses livres un monde qu’il reconnaît et une étonnante liberté d’écriture. Il ne cessera alors, pendant de nombreuses années, de faire partager son enthousiasme à des centaines de personnes.
En 1968, projetant de créer un Prix Céline du roman, il rencontre à Meudon Lucette Almanzor, peu de temps après l’incendie de la maison. Il reste de cette rencontre un long texte intitulé « Lili, c’est Line », rédigé en 1969 et publié dans le journal « Actual-Hebdo » en juin 1973. En voici un extrait : « Elle est devant moi, toute menue et recroquevillée, lisse et rose comme un nez d’enfant. Alors c’est ça la nymphette héroïne ? L’égérie du gars Ferdinand ? Ce petit bout de polichinelle contrefait ? La grâce et la subtilité incarnées dans un corps sans poids, dans un visage dessiné en trois traits qui retiennent et décochent tour à tour un sourire de nymphe malicieuse, comme dit la vieillerie Robert Canard. Pas possible. Mes yeux et l’obscurité me trahissent, mille verges ! Je refuse l’évidence. Pas possible ! » Après avoir expliqué qu’elle vit dans la misère et exigé l’attribution du Prix Louis-Ferdinand Céline à un récit animalier, (condition inacceptable pour Micberth), Lucette remet les épreuves de « Rigodon » à son visiteur, étonné par le style. « Il y a les trois petits points, et un peu de la musique. Mais... le grain de sable qui bloque la belle mécanique huilée. Cric crac. » La conclusion tombe : « On dirait pas du Ferdinand, madame. » Micberth poursuit son récit : « Mouche. Le coup a très exactement porté. Mais ne nous précipitons pas sur les déductions hâtives. De deux choses l’une : ou le bouquin a été construit par les avocats à l’aide de vieilles conneries éparses, travail supervisé par la doulce Lucette, ou bien nous assistons aux dernières éructations d’un grand écrivain sénile. »
Bardamu
« Faut-il, en effet, extraire de notre patrimoine historique la vie et l’oeuvre de Napoléon au motif qu’il fut cruel et que par bien des côtés il préfigura Adolf Hitler ? Et pour ce dernier, a-t-on le droit de se refuser à lire les étonnantes mises en garde qu’il adressait aux chancelleries avant 1939 ou encore, aveuglé par l’indignation, peut-on nier le charme de ses aquarelles, son chemin creux près de Wytschaete peint en novembre 1914 ? Non.
« Personne ne peut aujourd’hui oser prétendre sans faire sourire que le docteur Destouches est un écrivain du second rayon, épiphénomène d’une période troublée, ludion des lettres porté par d’irréductibles réactionnaires ou conchié par d’extralucides progressistes. Savoir si Céline fut le plus grand n’a aucun intérêt, c’est du domaine de la subjectivité. Ce que l’on peut affirmer sans se tromper c’est sa dimension universelle, son éblouissante importance dans le temps et dans l’espace.
« Ouvrir chaque mois « Le Bulletin célinien » est un total bonheur. Wolinski, dans les années 1970, avait conçu la publicité du journal dont il était le rédacteur en chef par ce slogan : « Lire Charlie, chaque mois, vautré sur un divan, en croquant du chocolat ». Qu’il me permette de le paraphraser en disant : « Ouvrir le Bulletin célinien chaque mois, confortablement installé dans un fauteuil, en sirotant à petites lampées un alcool fort, et en tirant sur sa pipe bourrée de Flying Dutchman ».
« On me reprochera d’avoir négligé « Louis » pendant de nombreuses années... Je sais. On s’est un peu égratignés avec Laudelout à cause de ça. La faute en revient à Lili (Lucette Almanzor, veuve de Céline). Que le diable me pardonne, mais il me reste dans la bouche le goût amer d’une nuit passée avec elle à Meudon, tout de suite après les événements de Mai 68. Certains en auraient fait un gros livre, moi un tendre chagrin. J’eus le maigre privilège de lire après François Gibault (et pour cause, eh !) le premier bon à tirer de « Rigodon ». C’est au moins ça. » (Micberth in Histoire locale, printemps 1998)
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