En janvier dernier, quelques semaines avant son départ, Micberth écrivait : « La neige m'épatera toujours, j'ouvre les fenêtres de mon bureau et je tombe sur ce spectacle d'enfant. Même vieux con, je me surprends à sourire ; le hachage du temps qui passe n'a pas entamé ma candeur de petit d'homme. C'est probablement ce mystère qui nous donne encore et toujours, malgré les épreuves, le courage de vivre. » C’est que toute son existence aura été un acte de révolte contre la bêtise, la laideur, la méchanceté, l’injustice, sous-tendu par un désespoir constructeur. « Judéo-chrétien, de la valvule de Vieussens jusqu’à celle de Bauhin, de la tête au fion », il ne concevait pas la vie sans épreuves, acceptant « les larmes après le rire, la souffrance qui précède ou qui suit le bonheur ». Il avait construit autour de lui un monde fort, un univers magique, hors du temps, loin des conventions et des stéréotypes. Le texte qui suit est extrait d’un article intitulé « Seigneur, que j’oubliasse enfin », paru il y a 40 ans sous le nom d’Eric Asudam. Il résume son refus de l’absurdité du monde et évoque les petits bonheurs micberthiens.
« Mais bon dieu qu’on se le dise ! S’il y avait la
moindre vraisemblance dans les religions que nous connaissons, nous serions tous des mystiques convaincus et les
serviteurs du bon dieu, sans faille. S’il y avait la plus petite preuve de bon
sens dans le marxisme, nous serions tous
de fidèles militants. S’il y avait du bon sens dans le fascisme, nous serions tous en veston noir. Nous, hein, on
demande que ça, la générosité au profit du plus grand nombre, le
désintéressement, et tout et tout ! Mais merde, que nous
montre-t-on ? Des dogmes et manifestes irréalistes, basés sur des valeurs
poussiéreuses, violentes et sans espoir. Le sang, la peur, le désespoir, la
soumission, le mensonge, le vol, l’égoïsme, le reniement, la facilité, la
lâcheté, etc. Une politique bouffonne, une sciencette qui tue sous prétexte de
soigner, une information tronquée et truquée, des loisirs imposés et ternes.
J’en ai rien à foutre moi de faire le con sur deux planches de bois qui
glissent sur la neige ou sur les flots bleus, sur un vélo en dural, dans une
voiture cercueil, une raquette à la main pour renvoyer pendant des heures et
des heures une balle qui m’arrive de mon vis-à-vis en pleine trogne, de monter
sur un pauvre canasson et de lui meurtrir les flancs et la gueule pour me
prouver ma masculinité, de battre des rectangles de carton coloré et de perdre
mes biffetons, de me faire bronzer la quéquette au milieu de trois mille ploucs
chiants, de faire des loopings dans l’azur, de tuer les petits z’osiaux avec un
bâton de tonnerre, de courir pour arriver le premier ou pour simplement
« participer » comme dit l’autre (ché biau), de pousser un ballon
avec le bout du pied ou de la main, de faire passer au-dessous de moi ou de
déséquilibrer un adversaire, de faire l’amour collectivement le samedi soir
avec les dames et les messieurs de mon quartier après l’émission de Bouvard à
la téloche. Rien à foutre de
Les petits bonheurs
« Moi, modestement, j’aime flâner sans but, être bien grippé et lire au lit des vieux illustrés qui puent l’encre d’imprimerie, ouvrir un livre scientifique, le refermer et me sentir moins con, m’allonger sous un noyer et me foutre des cerneaux plein la gueule, et me tordre dans mille diarrhées brûlantes, regarder attentivement ma femme enfiler une aiguille. J’aime me promener sur les plages de l’Atlantique au mois de mars et shooter dans l’écume avec mes enfants, être embrassé tendrement par de douces adolescentes qui croient que je suis dieu le père et qui ont bien raison, baiser jusqu’à plus pouvoir juter en commentant l’action avec des mots rudes, tendres et grossiers, me faire peigner de longues heures les cheveux, la barbe, les moustaches et les poils du cul par une femme sensuelle, me faire gratter, me faire sucer, me faire manger. J’aime creuser la terre, travailler le bois, sculpter la pierre, peindre, dessiner, bricoler, réparer un jouet brisé, construire un jouet pour un enfant, voler au secours d’une détresse, me donner corps et âme à une cause difficile ou perdue, regarder les saisons avec complicité, boire avec des amis, contrer les autorités, vivre dangereusement, chier une grosse envie en écoutant Chancel, uriner la nuit sur une pelouse pleine de grillons, réconforter mes semblables, donner ce qui ne m’est pas strictement indispensable, donner, donner, donner encore, etc. Voilà mes loisirs et cent autre oubliés. Les vôtres sont différents, tant mieux, chacun doit être le créateur de ses plaisirs, crénom ! Mais j’entends au fond de mon oreille agressée : productivité, discipline imposée, autorité. » (Micberth in Actual-Hebo n° 37, 10 novembre 1973)