« Léon Bloy, le pèlerin de l’absolu, pour beaucoup de nos contemporains, est presqu’illisible. Il demande un gros effort d’attention, une solide culture et le Larousse en dix volumes à portée de la main. Le Larousse est d’ailleurs bien insuffisant, tout comme le Littré, mais quelle joie de le lire ! Quelle constante aventure de l’esprit ! Quel enrichissement ! », écrivait Micberth il y a tout juste trente ans. En 2013, on ose caviarder ce cher Bloy, pour un texte rédigé en 1892. La culture fait-elle tant que ça défaut à nos contemporains, que l’on décide de censurer les grands auteurs au motif qu’on nous prend vraiment pour des abrutis, incapables de jugement ? Après les armes, allons-nous devoir rendre les livres pour qu’ils soient brûlés en place publique ? A quand l’ordalie ?
« La nullité du plus grand nombre est une insulte à l’individu intelligent autant qu’à la civilisation ou à l’histoire de l’évolution savante appliquée à la vie quotidienne des communautés humaines. »
La censure, Micberth l'a subie, toute sa vie durant. Une censure insidieuse, via des tracasseries et pressions diverses : dépôts de plaintes, enquêtes policières, écoutes téléphoniques, diffamation, silence des médias, etc. Aussi, les témoignages qu’il a laissés sont-ils d’autant plus précieux : ses allocutions télévisées par exemple, qui ont la vie dure et que l’on retrouve aujourd’hui sur de nombreux sites comme autant d’évidences. (Nous ne nous en plaindrons pas...). Le ton provocateur, violent, volontairement outrancier du discours peut étonner et rebuter. Micberth s’en est expliqué. « J’ai choisi un genre terrible : le pamphlet ; flétri d’office par le lieu commun : « Tout ce qui est excessif, est insignifiant ».
Et ceci expliquant cela, il ajoute : « Pierre Dominique, en conclusion de son anthologie de la polémique, résumait en quelques mots épouvantables le sort de ceux qui avaient choisi de combattre par la plume : « Décollation, emprisonnement, misère, paupérisation, assassinat, exil, oubli, etc. »
« Cela veut dire que pour se soumettre à ce « passe-temps » périlleux, il faut – passez-moi l’expression – avoir des couilles au cul particulièrement bien accrochées.
« La gonade est un attribut très accessoire dans le milieu des rotatives.
« Le courage ne s’usant que si l’on ne s’en sert pas, j’ai choisi, pour mon inconfort personnel, d’en faire usage le plus souvent possible et... parfois, plus que de raison.
« En acceptant les préparatifs de ma première clownerie télévisée (avril 1976), je savais que je serais immolé sur l’autel du conformisme qui ne reçoit jamais l’inadmissible.
« Le bon usage interdit la grossièreté et plus encore quand elle est mise au service de la provocation.
« Le lecteur me pardonnera mais, pour moi, la grossièreté est un délice. Les freudiens, qui sont à la psychosémiotique ce que la crème chantilly est au bifteck frites, vous diront qu’il y a chez moi une régression sadique-anale. Peut-être, peut-être, mais c’est ainsi.
« J’adore rouler mes contemporains dans le caca. Les mots orduriers ne me font pas peur, je nourris pour eux une passion stendhalienne. Il en est de bien laids, de bien gluants, de bien puants, de bien excrémentiels qui définissent excellemment le petit personnel que je brocarde.
« Et puis quand on souhaite ne pas se faire traiter de crottes, mieux vaut ne point sortir d’un derrière pour aller ensuite se complaire et musarder dans les fosses d’aisances de la vie publique.
« Un peu de
parano : l’anthologue et l’historien écriront plus tard que j’ai été le
premier politicien scatologique de la télévision. Je revendique cet honneur.
C’est facile, mais je le dis quand même : « Mieux vaut être le
premier à parler merde à
En 1977, Micberth enregistre sur FR3 une Tribune libre intitulée « Apologie de l’abstention » avec une équipe technique gauchiste, résolument hostile à l’intervenant. Et qui plus est, l’émission est, à l’époque, « considérée comme un véritable fourre-tout. »
Micberth raconte : « Un poil de mépris dans la façon de parler de cette émission. Peu de médias annoncent sérieusement le sujet et le générique de ses séquences ; aucune d’entre elles n’a jamais fait l’événement et cela quel que soit le contenu.
« Pourtant, ma modestie dût-elle en souffrir, la presse – pour une fois – m’a présenté avec égards et même – tenez-vous bien – avec une photographie en couleur. Pour ce type d’émission : un exploit.
« En 1979, le Monde, pourtant avare en courbettes, a repris dans ses pages politiques le texte d’une de mes tribunes ; zest de favoritisme qui n’aura échappé à personne. »
« Désobéissez ! » C’est ainsi que Micberth appelait les téléspectateurs à réagir, dépassant de l'« Indignez-vous » de Stéphane Hessel. « Désobéissez et nous sortirons de ce processus névrotique qui nous mène progressivement à l’anéantissement de l’espèce. Désobéissez et les fruits retrouveront leur saveur d’antan, l’eau vive sa pureté et les sites leurs lignes harmonieuses. Désobéissez et les villes se videront des véhicules polluants, des cheminées qui crachent la mort pendant que dans l’usine on visse les milliards de boulons du désespoir... »
Cette Tribune fait plus que jamais recette en 2013, malgré les mauvaises conditions du tournage et l’altération de la vidéo avec le temps. Pourtant, le discours n’est pas chatoyant.
« Imaginez la
tête de Dupont-la-joie quand, le 3 juin 1977, il vit et entendit à
« Six ans plus
tard, alors que j’écris ces lignes sous le joug et l’aiguillon de l’Etat
socialo-communiste, alors que M. Marchais se conduit comme un vice-président de
L’éternel retour cher à Nietzsche ?
Le comble de la provocation fut certainement atteint par
Micberth avec son allocution télévisée intitulée « Prout, caca, boudin ou l’Etat socialo-communiste », diffusée le 8 avril 1982 (enregistrement qui a disparu des
fichiers de l’INA). Le producteur de l’émission, Jean-Claude Courdy (très gêné,
mais pas vraiment hostile), avait cru devoir présenter ses excuses aux
téléspectateurs avant la diffusion de
Micberth écrit : « J’ai expliqué plus haut mon goût vicieux pour les mots forts, aussi répugnants soient-ils, je n’y reviendrai pas.
« L’apostrophe ordurière au peuple peut s’entendre comme le contre-pied pris de ce qui se pratique ordinairement. En démocratie, le tribun sollicite les suffrages de son auditoire, il se contraint donc au double langage et flatte ceux dont il a besoin. Chez moi, ce souci est absent. Je dis ce que je pense sans me soucier le moins du monde de l’effet négatif produit. Je n’ai rien à vendre. La canaille et moi ne pâturons pas ensemble. Cela me permet d’entrée de sélectionner mes sympathisants et mes amis. Méthode d’épuration qui me laisse espérer – voyous découragés – que nous resterons entre gens convenables. Le risque est de perdre ceux qui jugeraient cette méthode par trop expéditive et qui ne verraient là qu’une manière simpliste de provocation grossière. Tant pis pour eux. » (...)
Non seulement Micberth apostrophe son auditoire, mais il le fait avec grandiloquence. Pourquoi ?
« Maintenant passons au ton ampoulé que l’on peut me reprocher, ce nouveau pindarisme. J’aime bien l’art déclamatoire. Encore une faiblesse. La grandiloquence m’amuse. Manière aussi de se moquer un peu de soi.
« J’ai en mémoire la voix de Malraux qui faisait trembler ma vieille tante Lucienne, tant le trémolo des périodes du maître l’épouvantait. Un régal pour moi. Déclamer jure avec le style « chié mèque » susurré par les cool babas et avec les marmonnements, les piaulements des dentiers politiques en place. Il n’y a pas encore si longtemps, tous ceux qui s’exprimaient publiquement, déclamaient.
« Qui aura décidé qu’il fallait s’arrêter là et murmurer, sur le ton de la confidence, son message politique aux auditeurs ?
« Peut-être Louis Merlin, l’inventeur d’Europe 1, qui « fusilla » à bout portant les speakers coincés qui nous faisaient chier sur l’antenne de la radio d’Etat. Bravo pour la présentation des garnitures féminines, pâtes dentifrice à rayures multicolores, cosmétiques pour messieurs élégants et soignés, mais pour le discours politique, le combat des idées : zéro.
« De plus, un texte complètement « bidon », lorsqu’il est déclamé ne passe pas (comme on dit dans les médias audiovisuels). Voilà la raison de l’abandon du genre. Moi, j’ai osé le faire renaître et m’en porte très bien. Merci.
« Enfin le choix d’un vocabulaire peu usité. Chroniqueur de feuilles incendiaires depuis pas mal de temps, j’ai l’expérience du mot, du titre, de la phrase qui font florès. Le Crapouillot dans son dictionnaire des injures politiques a « immortalisé mes trouvailles ; et ne suis-je pas à l’origine du mot « marginal » dans son acception actuelle (cf. Le Monde), du fameux « droit à la différence » attribué bien injustement à François Mitterrand (cf. Le Quotidien) et de la très récente « nouvelle droite » (id.)
« Voilà pour les mots et expressions simples, mais je possède au catalogue une foule de mots par moi exhumés des glossaires qui, sans avoir connu la fortune de ceux précités, n’en ont pas moins eu, sous la plume d’illustres confrères à la courte mémoire (s’pas ADG, Giroud Françoise, Cavanna, etc. ?) une existence tout à fait honorable. »
(Micberth, extrait de son « Dernier avertissement aux lecteurs réputés méchants » à l’ouvrage « Petite Somme contre les gentils. Allocutions télévisées 1976-1982 »)
Une partie de ses allocutions télévisées peuvent également être visionnées sur Dailymotion.