Un soir de l’année 1970, Alain Fournier dit Camille,
ex-collaborateur et directeur littéraire de Micberth aux éditions de
Il relate cette rencontre dans son Journal inédit, en 1976 :
« Après une longue homélie sur le courage – peu convaincante – qui l’affligeait plus encore, je décidai d’un coup d’aller chercher un énorme colt à barillet qu’il m’avait vendu quelques mois plus tôt. Il était temps de passer aux actes décisifs.
– Tu vois, Alain, lui dis-je, je suis heureux, très heureux d’exister. J’aime la vie comme un fou. Mes femmes, mes enfants, mes amis m’adorent. Je me sens investi par le destin, pour remplir une mission purificatrice au profit des hommes de bonne volonté, et tu sais combien je me bats chaque jour pour voir triompher mes idées et quels plaisirs, malgré les échecs, j’en retire. Eh bien ! je suis prêt à te sacrifier tout ça pour te prouver l’importance de ton destin d’écrivain.
– Micb !
Je glisse une balle dans le barillet et le fais tourner d’un grand geste du plat de la main, puis je pose le canon glacé sur ma tempe. A.D.G. est bouleversé. Des larmes s’échappent de ses yeux. Il tombe à genoux, se pend à mon bras, me supplie et hurle :
– Micb ! fais pas ça ! Je sais que tu en es capable. Ce serait trop con.
Clic !... Le chien claque, et le percuteur ne trouve que le vide. Je tends le colt à A.D.G. qui, tout en gémissant, le désarme, handicapé dans cette opération par le tremblement de ses pauvres mains.
Je le laisse là, exsangue, plaintif et vidé.
Alain ne m’avait pas pardonné. Pourtant, sous le texte dédicatoire imprimé, il rajoutait de sa main : « Pour Micb, sans qui A.D.G. ne serait pas : Alain Camille. »
La publication dans la prestigieuse Série noire dont
A.D.G. deviendra l’un des auteurs phares ne se fit pas « les doigts dans
le nez » (NDRL : Pardon !) Le 17 février
A.D.G., qui a écrit son chédeuve « en 6 jours et demi » demande à Micberth de l’aider à le peaufiner. Celui-ci se fendra, deux jours plus tard, d’une longue lettre faisant le détail des erreurs, invraisemblances à corriger et améliorations souhaitables.
« Mon cher Brigand,
Je constate avec satisfaction que vous n’avez plus besoin de vous mettre à cinq ou six pour enculer le père Talent. Tu fais ça tout seul maintenant, c’est bien ; te voilà dégourmé.
Comme tu le souhaites dans ta lettre du 17, je t’envoie quelques réflexions inspirées.
(...)
Je passe aux invraisemblances :
Je t’ai dit au téléphone : Toutoune, pour son examen gynécologique, ne pas confondre le prélèvement effectué par le gynécologue et l’analyse par le laboratoire. Plus la troisième phase d’interprétation de l’analyse et le pronostic avec les médicaments adéquats ou la feuille de clinique.
En page 18, bien faire comprendre aux lecteurs que le héros est contre la devanture, bien visible de l’extérieur (description plus approfondie du café-restaurant).
En page 21, Luc va se ravitailler sur le coup de 3 h alors que sa bonne femme a été coupée en deux vers midi trente. D’autant que plus tard, on apprend que la police a fait fermer l’établissement. La première queue-chose très grave.
En page 23, par miracle, le Yougoslave Tatouine n’a plus d’accent (La peur sans doute. Une nouvelle veine pédago-assimil à exploiter. Tu va te faire du fric, vieux !)
(...)
Quelques réflexions maintenant.
Beaucoup de motivations sont peu expliquées ou pas du tout. Celles d’Amburge, de Luc. André revire sa crêpe d’un seul coup et pense que Luc est un fieffé gangster, ce qui ne correspond en rien à la psychologie de Luc que l’on découvre au début du bouquin.
L’inspecteur de police est bien familier et bien soupçonneux. Pour des gens qui ne fréquentent pas le commissariat, cela est bien trop rapide et d’une très grande faiblesse psychologique.
Le coup du papa à la fin qui cocufie son fiston me paraît énaurme et m’a fait beaucoup de peine. C’est très vilain. On appelle cela en littérature poudrée, un récit qui se termine en queue de poisson. Vu la moralité du père et ses intentions, je dirais en queue de poison. Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
L’histoire n’est pas terrible. Le style excellent. Le récit touchant. On a envie de lire jusqu’au bout. Bien que gêné par les invraisemblances.
Les personnages ont une âme, mais réagissent comme si tout était préparé d’avance, avec des masques. On ne sent pas les mobiles profonds.
Des petites erreurs de comportement et de jugement qui font dire au lecteur : « Ah, ah, tiens, méfions-nous, celle-là, elle va jouer un sale tour au héros à la fin… » Alors on pense que tout est beau et que tous ces mecs sont bien chouettes, et on est tout déçu de les savoir aussi minables, aussi laids dans leur tête. C’est peu vraisemblable.
Des petites
conneries, comme les impacts de balle
On ne nous
explique pas, et plus grave encore, on ne nous laisse pas supposer comment le
père d’André va se tirer de la souricière de Marseille, alors qu’il a canardé
les flics comme un homme. On ne voit pas du tout les interrelations entre le
cerveau du père et du fils. Si le papa a vraiment ramoné
Et pourquoi, bon Dieu, le père s’est-il crevé le cul à tirer le fiston des griffes de la police pour ensuite le donner ? Je vois mal tout ça. Il pouvait peinardement se tirer avec Tine, assommer un encaisseur et laisser pourrir son fils en prison. Le Ricard a rendu le père d’André complètement fada.
Mille autres choses encore, dont le brave Auvergnat qui se tire comme ça sans laisser d’adresse, alors qu’il n’a pu exercer son commerce à Orléans sans fournir son identité. Que risquait-il vraiment et comment peut-on admettre qu’un homme qui planque des mecs en cavale puisse être aussi imprudent, alors que c’est la prudence qui fait leur gagne-pain. J’ai pas très bien compris.… » (Micberth, lettre du 19 février 1971. Correspondance inédite)
Muni de toutes ces remarques et autres corrections,
A.D.G. reverra sa copie. Et cinq mois plus tard viendra «
Alain Camille (A.D.G.) en 1968. Archives Micberth
A.D.G. écrira : « En 1963, un jeune garçon
timide qui s’appelait Alain Fournier et n’en était pas plus fier pour ça, se
présenta au 9 de la rue des Docks à Tours, il se gourrait, sonnait à l’office
des achélèmes. Puis il rencontra Micb, et, je ne dirai pas les doigts dans le nez, il est devenu Adégé Alain Camille et le
reste s’il le faut. Bien. Aujourd’hui, Alain Dégé Camille finit un gros
feuilleton pour