« Les années 50. Se promènent sur le boulevard Saint-Michel à Paris, Maguy (Vautier), Georges (Brassens), Jean-Pierre (Rosnay), etc. les Jarivistes (de JAR, Jeunes Auteurs réunis). Tous sont morts aujourd’hui, sauf ma chère Maguy. » Micberth écrivait ces mots en décembre 2010. J’apprends par Internet que cette « chère Maguy » n’est plus depuis quelques jours. Elle s’est éteinte le 15 novembre 2014, à l’âge de 85 ans. Poète, écrivain, elle fut l’égérie de la Jeune Force poétique française créée en 1964 par Micberth et donna son nom à un prix couronnant le talent de jeunes auteurs en 1966-67-68-69. Institutrice, puis productrice d’émissions radiophoniques et télévisées, Maguy a passé la moitié de sa vie en Afrique, au Niger notamment, où elle s’est battue pendant de nombreuses années pour la défense et la sauvegarde du peuple touareg. Pour ce faire, elle a fondé l’association Atlik en 1984 et écrit plusieurs ouvrages sur le sujet.

Je suppose que Micberth n’aurait pas manqué de saluer cette femme lumineuse rencontrée au début des années soixante (1964 ou 1965). Lorsqu’il l’évoquait, longtemps plus tard, je la voyais, longue, brune, la peau mate, les pieds nus sur le Boul’Mich’, au temps où la poésie ne se cachait pas. « La poésie pure n’existe que dans la mesure où elle reste inexprimée. » Je relève cette phrase dans l’article de Maguy sur Rimbaud publié dans Révolution 70. Elle avait épousé le colonel Vautier, un pilote de chasse qu’elle aimait plus que tout. Il avait été envoyé en mission en Libye. Et le 4 décembre 1971, ce fut le drame : le long du désert de Syrie, alors qu’ils viennent de visiter les ruines antiques de Cyrène, leur voiture (une Triumph) heurte un camion à l’arrêt, tous feux éteints. Son compagnon meurt, à l’âge de 37 ans. Elle survit, ainsi que leur petite fille, Sandra. « Serge disait que la mort était incluse dans son contrat de pilote. La machine volante l’a épargné. La route l’a assassiné », écrira-t-elle.

Si j’évoque ce drame, c’est parce qu’il lui a inspiré un émouvant témoignage que Micberth a publié en 1996 dans sa collection Petite bibliothèque insolite. C’est ainsi que je fus en contact avec Maguy Vautier, pour les besoins de la publication de son livre Je te verrai hier, où elle explique avec justesse et poésie le parcours d’un chagrin qui se transforme en espoir. « La Mort apprend à vivre », écrit Maguy, « l’épreuve simplifie, sans soumettre ». Après le refus, la colère, elle accepte, regarde le vide en face, se tait et agit. Pleurer n’est plus possible. Peut-on apprivoiser la mort ? « Quels que soient les sentiments, il y a en moi un ressort plus tendu que la peine qui tend mon coeur. Il y a connivence avec la mort. » Et sa force, dont elle ignorait la mesure auparavant, conduira ses pas au Niger pour défendre la cause touareg et prendre en charge la vie de deux petits enfants qu’elle adoptera.

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Micberth a bien des fois expliqué que la mort n’offrait aucun intérêt tant qu’elle était ignorée. « On ne peut guère éviter la mort quand elle doit, camarde implacable, nous atteindre, mais on peut modifier l’information « culturelle » de la mort et en atténuer les effets désespérants. » En guise de démonstration, il évoque la mort de Bruno Carette, survenue le 8 décembre 1989.

« Exemple tout frais, si j’ose dire. Bruno, l’un des quatre « Nuls », meurt d’une leucoencéphalite. Je suppose qu’il s’agit d’une leuco-encéphalopathie multifocale progressive qui nettoie un chrétien en deux à trois mois à la suite d’une défaillance immunitaire et par la mauvaise action d’un papovarus, comme on disait quand j’étais petit.

« Or, la mort de Bruno en tant que « perte de la vie » n’a aucun intérêt pour vous comme pour moi. Pourtant Bruno est froid. Mort à jamais.

« Il est déjà charogne et chacun s’en tape. René lutine bobonne et Pierrot sirote un apéro chez Georgette qui tient le bar du Pont. Soudain...

« ... D’un seul coup, Bruno étant un homme de spectacle, l’information éclate. Elle est médiatisée et l’émotion explose : 33 ans, blablabla, on le voyait tous les soirs sauf depuis quelques semaines, etc. Et c’est là, simplement à cet instant que s’installe en chacun de nous une sorte de chagrin.

« Parce que Bruno est mort ? Non. Parce que nous avons appris sa mort, ce qui est tout différent. »

(Extrait de Mégalo, journal télématique, chronique du 10 décembre 1989.)