Lettre ouverte à M.-G. Micberth – Poste restante – Paradis.
« Celui qui, en soulevant la visière de sa gapette à
pompons, a dit que la vie n’était qu’un éternel recommencement, n’était pas
aussi pomme que ses pieds plats et sa vue en cul-de-basse-fosse le laissaient
paraître. » Fidèle à cet adage, vous disiez souvent que les loups
reviendraient dans nos campagnes, et que nous verrions des hordes barbares se
cacher dans les bois pour survivre, comme au Moyen Age. Vous ajoutiez que vous
ne seriez plus là pour assister à ce retour. La présence de loups dans
De nouveaux locataires ont dû vous rejoindre. Vous connaissiez bien certains d’entre eux : Wolinski (Maryse, très digne, lui a rendu un bel hommage), ou encore Cabu, « le béquillant et talentueux échappé de la bande à Charlie » (écriviez-vous en 1991). Charb, le boss du second « Charlie Hebdo », faisait-il de la surenchère à la provoc’, comme on le dit parfois, en lui reprochant son « irresponsabilité » ? Delfeil de Ton, un vieux collaborateur-fondateur du journal, le qualifie de « tête de lard » et l’accuse d’avoir mené sa rédaction à la mort. En 1973, si mon souvenir est bon, vous n’aviez pas de très bonnes relations avec le Delfeil en question : « Si Cavanna est grand et beau (on le dit) et peut se permettre de griffer d’une plume tonique la connerie et les laideurs de ce monde, Delfeil de Ton, lui, est un petit gnome crachoteux qui passe sa vie à se venger de ses semblables pour compenser ses refoulements d’insecte nuisible et doit donc se taire. » A propos de Cavanna, justement... Un gars prudent, qui ne se battait pas pour des idées, comme il disait, qui voulait juste faire rire dans l’atroce. Il avait refusé de reprendre dans « Charlie Hebdo » votre pamphlet sur l’armée, selon lui « une enfilade d’injures d’une violence telle que, si nous le publiions, même en citant les auteurs, nous n’y couperions pas d’une nouvelle condamnation en correctionnelle » (sic, CH juillet 1979). Votre profession de foi aurait pourtant plu, à l’antimilitariste Cabu et à tous ses fans : « ...Pour nous, l’armée est une entreprise de dévirilisation. Elle prépare l’appelé au brevet supérieur de reptation : « Même s’il est con, le chef a toujours raison ! » (publication intégrale dans « Le Réfractaire »). Pour info, on parle de rétablir le service militaire obligatoire (suspendu en 1997), tout spécialement pour nos « jeunes des banlieues ». Voilà qui vous fera plaisir, vous qui avez aidé nombre de jeunes gens à y échapper et qui vous êtes battu pour une armée de métier ! ça s’en va et ça revient...
Depuis le 7 janvier 2015, Big Brother est
devenu fou ! Être ou ne pas être Charlie est LE choix fondamental auquel
les Français sont confrontés ici-bas. Plus que jamais, il faut surveiller son
langage. Sinon, sanction ! Ainsi, Philippe Tesson (bientôt 87 ans) fait
l’objet d’une enquête pour « provocation à la haine » parce qu’il
aurait tenu des propos islamophobes à la radio. Non, vous ne rêvez pas, j’ai
bien dit Philippe Tesson, le dangereux activiviste, celui-là même qui vous
ouvrit les colonnes du « Quotidien » en 1975 (Il fallait être culotté
à l’époque...) pour parler de la nouvelle droite : « Est vraiment de droite celui qui
place l’homme dans son unicité originale, même s’il doit pour ce faire refuser
le groupe. Celui, enfin, qui admet le droit à la différence. (...) En 1975,
seule la destruction des institutions lui importe. Ni dieu, ni maître, ni Marx,
pourrait être sa devise. Il est pacifiste et révolutionnaire (révolution des
consciences). » Ah ! Le fameux « droit à la différence »,
attribué plus tard à ce cher Mitterrand... Les déboires de Philippe Tesson me
font penser aux plaintes de
« Un seul mot mal choisi peut, dans notre société
moyenâgeuse et policière, réduire à sa plus minable expression la vie publique
d’hommes imprudents. Dire merde à un magistrat équivaut à deux ou cinq ans de
prison ferme ; douter de son honorabilité, à quelques centaines de
milliers d’A.F. d’amende. Mais derrière la magistrature, il est des hommes
influents qui la pourrissent et la déterminent. », écriviez-vous en 1973. On sentait le
« vécu ». Et à propos de Big Brother, dont je parlais plus haut,
juste une anecdote. Depuis le terrible attentat du 7 janvier, dans la presse,
comme chez les politiques, nous avons vu se lever les Croisés de Charlie. Parmi
eux, citons Nathalie Saint-Cricq, responsable du
service politique de France 2, qui déclare : « Il faut repérer,
traiter, intégrer ou réintégrer dans la communauté nationale » ceux qui ne sont
pas Charlie. Certes, la pauvre petite a des excuses ! Son grand-père, Jean
Meunier (ex-député maire de Tours et ancien ministre socialiste, chef
historique de
La minute de silence (Respect), le deuil
national, les cloches de Notre-Dame de Paris à toute volée (Tous
chrétiens ?),
Sources :
« Juste en passant » in Histoire locale, été 1998.
« Radio libre », in Charlie Hebdo n° 453 bis , 19 juillet 1979.
« Nier l’armée », in Le Réfractaire n° 31, août-septembre 1977.
« Vers une nouvelle droite », in Le Quotidien de Paris, 7 novembre 1975.
« Edito » in Actual-Hebdo n° 39, 24 novembre 1973.
« Comment faire intellectuel sans avoir la migraine » in Actual-Hebdo n° 23, 19 mai 1973.