« Aujourd’hui la question c’est l’abstention », a déclaré François Hollande après avoir accompli son « devoir » de citoyen républicain à Tulle, dimanche dernier (le 22 mars). L’abstention est effectivement devenue le premier parti de France. A quand son interdiction ? Micberth, on le sait, en fit l’apologie en 1977 dans une allocution télévisée diffusée le 3 juin sur France 3 (et largement reprise sur le Net depuis quelques années). Il déclarait alors : « La lutte des classes est dépassée. Caduque. Plus réel est de faire front commun contre la bêtise-crasse qui sévit dans toutes les couches de la société. »

En 1970, il se livra à une expérience dans sa bonne ville de Tours, qui est ainsi résumée par les archives départementales : « En mars 1970, Micberth se présente aux élections cantonales à Tours-centre contre Jean Royer, sa femme à Amboise contre Michel DebréLeurs professions de foi ne sont pas acceptées par la commission de propagande électorale. Seuls les bulletins de vote sont envoyés aux électeurs. Il obtient 70 voix sur 4 676 exprimés, sa femme 56 voix sur 7 331 exprimés (Archives départementales, 3 W 371, 373). » Le résumé est un peu... succinct. Je vais donc essayer de vous en dire plus en reprenant le chapitre publié à ce sujet dans Pardon de ne pas être mort le 15 août 1974.

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Micberth raconte : « Nous nous présentâmes, ma femme et moi, aux élections cantonales des 8 et 15 mars 1970 ; ma femme à Amboise, et moi à Tours-centre. L’affiche éditée par le comité de propagande montrait ma fille qui me tendait un énorme colt, en disant dans un phylactère : « Dis, mon papa, quand nettoies-tu la ville... Bientôt, hein ? » Je lui répondais : « Le plus tôt possible ! » (Cette affiche, on le comprend, fit sensation et provoqua une nouvelle fois le tollé général. Ma femme, qui se présentait contre Michel Debré, était elle aussi, sur son affiche, en compagnie de notre petite fille. L’enfant questionnait sa mère : « Dis maman, ils ne vont quand même pas encore une fois voter pour Michel ? » Les tracts de propagande reproduisaient d’un côté ces affiches, et de l’autre nos professions de foi. » 

Les tracts de l’épouse de Micberth d’alors n’étaient pas vraiment flatteurs pour Michel Debré (l’ennemi juré) qui était présenté comme un « homme des tempêtes, tordu sous la vague et, à force, complètement agité – le pôvre – du bocal. Il faut chercher, fouiller loin dans l’histoire de la France, pour retrouver pareil phénomène ». Quant aux habitants d’Amboise, pardonnez-moi l’expression, ils en prenaient plein la tronche (« ploucs régressés, ignares, culs-terreux, petits bourgeois pourris, crétins, etc. ») ! Ce qui ne se fait pas quand on se présente à une élection démocratique.

Aussi, la commission de propagande électorale, considérant que les circulaires contenaient « des propos injurieux et orduriers, à l’égard de tout le corps électoral et même à l’égard de tous les Français », et que l’envoi de ces circulaires risquait de « troubler les esprits et de jeter un discrédit sur les élections cantonales », décida-t-elle de ne pas accepter les circulaires et d’envoyer seulement aux électeurs les bulletins de vote de la candidate.

Micberth continue : « La bombette lancée par ma femme préfigura le cataclysme nucléaire que je déclenchai à la municipalité de Tours, en proposant le texte suivant :

« Madame, Mademoiselle, Monsieur,

« Cela va faire sept ans, je crois, que je fais chier tout le monde. On ne se refait pas. Sept ans que vous et moi subissons la loi d’une minorité d’édiles formée au lendemain de la Résistance et qui exploite le charnier 44 pour se maintenir aux postes usurpés.

« Si ces gens-là ne passaient pas leur temps qu’à gagner du fric, l’affaire serait de moindre importance, mais ils bloquent systématiquement toutes les originalités, les valeurs, pour placer leurs rejetons nantis et diffuser leurs verbeuses théories.

« Nous devons en finir !

« 1. Je suis contre l’utilisation de la drogue par les adolescents, mais pour la liberté d’en consommer aux adultes responsables. Ce n’est pas mon goût, mais cela regarde ceux qui s’y soumettent.

« 2. Je suis contre la pornographie, la pédophilie (Comédie de la Loire), mais pour l’érotisme et la plurisexualité, car c’est dans cette voie que la société évoluera et que les couples trouveront l’harmonie physique nécessaire à la bonne éducation des jeunes âmes.

« 3. Je suis pour la liberté totale d’expression politique, littéraire et artistique. Le citoyen doit être suffisamment adulte pour repousser ce qu’il exècre.

« 4. Je suis contre l’exclusivité et l’intention dirigée de la presse régionale et de ses supports publicitaires. Pour une dépolitisation de la Nouvelle République et l’implantation d’un grand quotidien concurrent.

« 5. Je suis contre l’obligation de se conformer aux lois et usages de la Sécurité sociale. En particulier, pour les travailleurs indépendants, les commerçants et les petits artisans.

« 6. Je suis contre toute organisation policière armée (fasciste à Tours), visant à faire respecter les décisions contestables des utopistes du pouvoir (la nouvelle société, une rigolade !).

« 7. Je suis contre la magistrature et ses coutumes bouffonnes et moyenâgeuses. Quand vous pensez que l’inculpé en correctionnelle est jugé et condamné par un seul homme (!!!). Les progrès de la psychologie interdisent de souscrire à ce genre de fantaisie. D’ailleurs, chacun sait que lorsqu’on est incapable de réussir sa vie dans une profession normale, on choisit la carrière de magistrat.

« 8. Je suis contre la politique culturelle définie à Tours par la Comédie de la Loire. Le cas de son directeur, Guy Suarès, relevant plus de la psychopathologie sexuelle que de l’animation culturelle.

« 9. Je suis contre l’exploitation de l’homme par l’homme mais pour la conservation de la hiérarchie des valeurs.

« 10. Je suis pour la construction rationnelle mais contre les démolitions abusives et sauvages du dictateur clownesque Jean Royer.

« 11. Je suis pour le développement, dans le centre-ville, des petits commerces et artisanats originaux, particuliers et précieux.

« 12. Je suis, en passant, contre mes concurrents aux élections, qui vous raconteront leurs conneries habituelles à n’en plus finir.

« 13. Je suis contre le service militaire obligatoire et j’encourage les jeunes appelés à se révolter ou à déserter, ou mieux, à foutre une bonne raclée aux gradés Algérie française en place.

« 14. Je suis contre les universités traditionnelles et pour les étudiants et enseignants aux ambitions multidirectionnelles qui désirent vivre et éprouver ce qu’ils apprennent et enseignent.

« 15. Je suis pour l’implantation dans le centre-ville, dans des locaux restaurés, de communautés de vieillards avec salles d’activités où ils pourraient travailler une à deux heures par jour, pour ne plus avoir le sentiment d’être inutiles et à charge.

« La place réduite ne me permet qu’un exposé succinct dont les lecteurs voudront bien m’excuser.

« Si vous êtes autre chose que des rascals et des lâches, dans le secret de l’isoloir,

« vous voterez* Michel Micberth.

 « * Surtout ne vous en vantez pas, on rirait de vous ! »

 Une fois encore, la commission intercantonale de propagande électorale dut-elle se réunir. Reprenant les points 6, 7, 8, 10, 13 et considérant que les mentions portaient « atteinte à l’honneur ou à la considération de personnes publiques (armée, magistrature) ou de personnes privées nommément désignées », considérant également qu’elles incitaient à la désertion et provoquaient la violence, les membres décidèrent à l’unanimité, « de ne pas accepter les circulaires remises par le candidat Micberth et d’envoyer seulement aux électeurs les bulletins de vote de ce candidat. »

(Ceci dit, il est utile de s’arrêter sur le programme micberthien, très novateur en 1970. Certaines des propositions, jugées alors incongrues et inadmissibles, ont depuis été retenues et appliquées. Je ferme la parenthèse.) 

Micberth poursuit : « Ma femme décida de se retirer et interdit la diffusion de ses tracts. Par contre, je doublais les miens et les repiquais en imprimant en surimpression sur le texte original cet avertissement : « Ce texte a été censuré arbitrairement par la commission de propagande fasciste qui ne tenait pas à ce que les électeurs soient informés des véritables problèmes qui se posent dans notre région. Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir informer vos voisins et vos connaissances, en faisant connaître au plus grand nombre possible de personnes, cet imprimé. » Des commandos de propagande s’éparpillèrent sur la ville de Tours et diffusèrent ce brûlot. Cette initiative permit d’obtenir un score faible, malgré tout honorable. »

 Mais les événements prirent une drôle de tournure. « A Amboise, dans l’espoir de ridiculiser ma femme, les autorités passèrent outre son retrait et maintinrent, au mépris du bon sens, sa candidature. Bien que les tracts ne fussent pas distribués, en moins de vingt-quatre heures, le contenu de la circulaire était connu de tout l’électorat. Pour en faire profiter amis et voisins, les braves gens se la recopiaient à la veillée, en plusieurs exemplaires. Cette propagande, que nous ne souhaitions plus, nous fit connaître des journées, disons... mouvementées. » 

C’est alors que les choses se gâtent. « Les Amboisiens retrouvèrent, pour quelques semaines, la violence des ancêtres qui avaient vécu 1789. Ma femme fut agressée et molestée, la carrosserie de sa voiture défoncée. Elle dut effectuer ses achats, un pistolet d’alarme à la main. Excédé par les insultes et les violences des populations hargneuses, je décidai de me mesurer à elles, et je me rendis alors, armé, sur la place d’Amboise, une heure après que ma femme y fut attaquée. Les révolutionnaires en eau de boudin préféraient visiblement regarder leur western à la télévision, plutôt que le vivre sur la place de leur village. La gendarmerie ne bougea pas, ce qui, avec le recul, paraît pour le moins stupéfiant. »

S’ensuivent alors des manifestations violentes derrière les murs de la propriété qu’occupent alors à Limeray Micberth et ses collaborateurs, qui organisent des tours de garde, l’arme en bandoulière. « Les paysans se découvrirent alors des virtualités de bonnets rouges et, en proférant des menaces, renversèrent une charrette branlante contre l’entrée du château. Le mur d’enceinte de la propriété fut couvert de graffiti parmi lesquels on pouvait lire : « Tais-toi minus » et « Micberth salaud, le peuple aura ta peau », etc. On me jeta des défis et certains me proposèrent des duels en place publique. On croyait rêver. (...) Une nuit, alors que j’étais occupé à quelque écriture, l’homme en faction laissa passer trois jeunes gens venus m’avertir qu’ils avaient surpris, dans un café d’Amboise, la levée d’un commando qui s’était juré de me noyer dans la Loire. Les hommes rameutaient leurs troupes dans le dessein de prendre d’assaut notre propriété. Nous fîmes tout notre possible pour impressionner les éclaireurs de cette armée improvisée. Les passagers des voitures qui s’arrêtèrent, cette nuit-là, contre le mur d’enceinte du château, eurent probablement le sentiment que nous étions très nombreux pour garder les lieux, et parfaitement armés. Pliés en deux, mes amis et moi, nous nous déplacions, ventre à terre, derrière le mur, et nous redressant, surgissions promptement en contrefaisant nos voix. Ainsi, un  seul homme en figurait dix, à des endroits divers et très éloignés les uns des autres. Ce fut une nuit éprouvante tant pour les nerfs que pour le souffle. Mais quelle aventure ! »

Ah ! On savait s’amuser en ce temps-là !

 

Source : Micberth, Pardon de ne pas être mort le 15 août 1974, chapitre « Jacquou le croquant »  (Fac-similé du dactylogramme publié en 1977).