Quand son petit-neveu me demanda, il y quelques semaines, quelle était la relation de son grand-oncle avec Dieu, j’avoue, je fus embarrassée. Je lui promis néanmoins de chercher des textes pouvant répondre à sa question. L’heure est venue de tenir ma promesse.

Lorsque nous évoquions, avec Micberth, les points communs de notre enfance, il m’expliquait qu’il avait été marqué par une éducation judéo-chrétienne, liée à une morale de la culpabilité et de l’interdiction, contre laquelle il avait lutté toute sa vie. Il écrit à ce sujet : « L’homme n’a pas besoin de Dieu. On cherche sans arrêt à le culpabiliser, ce petit homme, pour l’asservir : « Dis bonjour à la dame ! Touche pas ta quéquette ! Sois poli, gentil ! Trime, humilie-toi, mouche ton nez ! Repens-toi de tes péchés (ah ! les péchés !) et tu connaîtras le Nirvana ; dans sa grande bonté, Dieu te donnera l’orgasme éternel. »

Pourtant ses parents ne furent pas les seuls responsables de cette éducation. En 1954, âgé de 9 ans, assoiffé d’absolu et de connaissances, il a pour ami un prêtre charismatique de la paroisse du Sacré-Coeur, à Tours, qui devient son éducateur et lui ouvre sa bibliothèque. Au début de l’année 1955, il rencontre des Pères blancs et envisage d’entrer au petit séminaire (les démarches seront entamées) pour devenir missionnaire en Afrique. Ce qui lui vaut le rejet (fictif) de son grand-oncle Pierre, qui l’accueille chez lui, à Saint-Brévin-les-Pins, en disant qu’il « n’accepte pas les curés ». (Cinquante ans plus tard, il évoquera toujours la scène avec bonheur.) C’est l’époque également où l’abbé Pierre lance un appel aux bonnes volontés pour le relogement. Micberth écrit dans « La Lettre » (novembre 1984) :

« Flash-back... Me voilà trente ans en arrière : petit merdeux idéaliste, je cracherai dans mes mains et au nom de la sainte Croix j’irai de par le monde guérir les écrouelles et évangéliser l’aborigène. Le Bantou surtout, avec sa bonne tête d’oligophrène qui ne demande qu’à recevoir le bon Dieu pour vivre serein et heureux dans la lumineuse clarté du Seigneur.

« Et puis, et puis... l’abbé Pierre, comme Zorro, est arrivé. A nous autres, petits merdeux de Dieu, micro-pèlerins de l’absolu, il nous a dit : « Finis les regards au-delà de l’Atlas, balayez l’exotisme de vos têtes, le boulot est là dans cette France d’après-guerre, vous marchez sur les pauvres sans vous en rendre compte ! »

« Et on a tous retroussé nos manches. Avec un enthousiasme que je ne saurais décrire aujourd’hui. Ce que j’ai fait ? Je l’ai oublié et là n’est pas l’important, je devais le faire.

« Je me souviens mieux de mes rêves. De l’extraordinaire amour que j’éprouvais pour ce petit curé crotté. De toutes mes aventures imaginaires à ses côtés.

« Je me vois encore arpentant les bidonvilles avec au-dessus de la tête une auréole presque aussi astiquée que celle du saint abbé.

« Ah ! Qu’est-ce que j’ai pu les adorer mes frères c..., pauvres, n..., malades, infirmes, mes soeurs putains. Bref, je m’en suis tellement mis jusque-là d’indigence, de misérabilisme et de charité chrétienne que je m’en suis dégoûté pour la vie.

« J’ai appris là, à cette dure école du chagrin perpétuel, que l’on était désespérément seul et pour la vie, que l’autre, quand on refusait de l’asservir, de le broyer, c’est lui qui vous anéantissait et parfois avec un raffinement de cruauté inimaginable. »

Et alors, quid du séminaire, me direz-vous ? Problème avec le petit abbé du Sacré-Coeur qui ose un geste déplacé sur Micberth. Le petit garçon part en courant, abandonnant définitivement Dieu, ses saints et ses oeuvres.

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Micberth en 1957

En 1973, Micberth-Asudam écrit dans « Actual-Hebdo » (n° 37) : « S’il y avait la moindre vraisemblance dans les religions que nous connaissons, nous serions tous des mystiques convaincus, et les serviteurs du bon Dieu, sans faille. » Cette année-là, il fonde la Nouvelle Droite française, association politique libre clandestine, dont l’un des buts est de « faire régner une nouvelle sagesse universelle qui ne soit pas une morale de la résignation et du sens commun, mais l’expression la plus haute et la plus achevée de l’homme nu et seul – ni Dieu ni Marx– lavé de ses superstitions, débarrassé de tout esprit de système, assumant son être physique, moral et créatif... »

En 1982, Micberth publie dans « Le Nouveau Pal » (n° 14) un article incendiaire intitulé « Ch... sur Dieu et se torcher le c... avec Présent » (NDRL : amusant le jeu des mots à compléter, non ?).

Il écrit : « Quelle curieuse disposition d’esprit que de croire ! Il est si simple de vivre conformément à l’équité, de trouver dans sa conduite quotidienne la force et la sérénité. Si simple d’être pleinement soi-même sans nuire à autrui (autrui, pour moi, c’est l’homme, l’humanoïde connais pas !)

« (...) Si je dis : « Dieu n’existe pas », je le prouve. Il n’existe pas. Si on me dit : « Dieu existe ! », on est dans l’incapacité de me le prouver, de mettre Dieu sur ma table de travail. On m’opposera la sémiologie, les traces de Dieu, tout ce qui permettrait d’appréhender sa « réalité ». Et nous voilà retombés dans l’irrationnel, dans l’imaginaire, dans le n’importe quoi, dans la littérature. »

« Aristocrate mécréant », selon François Richard, il puise néanmoins ses références dans les vertus théologales : foi, espérance, charité et dans les vertus cardinales qui ont été définies par les philosophes païens : prudence, tempérance, courage, justice. Il écrit dans « La Lettre » (avril 1985) : « Je suis un aristocrate solitaire, châtelain pour que mes yeux n’aient que le beau à regarder ; gourmet pour que mon palais n’ait que le bon à goûter ; libertin pour que ma bite (NDLR : ce mot-là, on a le droit ?) n’ait que de jolies femmes à baiser ; courageux pour ne pas rougir de mon âme ; non-croyant parce que réaliste ; élitiste par honnêteté pour les imbéciles qui ne pourront jamais grimper jusqu’à moi ; amoureux de la vie qui est extraordinaire même quand la mort nous pend au nez... »

Micberth était-il « sans dieu » ou « sans Dieu » ? Sa recherche de l’absolu, du meilleur, voire de la transcendance, s’est exercée sans doute ailleurs que dans la religion, qui n’est pas forcément synonyme de spiritualité. Je citerai François Richard dans son « Que sais-je » sur les anarchistes de droite : « Car s’il est vrai que la notion d’absolu est habituellement évoquée dans une perspective métaphysique, souvent d’une abstraction redoutable, on ne peut raisonnablement exclure qu’elle puisse être présente au confluent de la volonté, des forces créatrices et de l’intelligence humaine, à la fois comme un sixième sens, une dimension supplémentaire et comme un horizon vers lequel on tend obstinément. »

« Je sais l’homme que je suis. Quel vieil homme vais-je devenir ? En fait, on ne porte d’intérêt qu’à soi-même. C’est bien naturel. L’univers n’existe que par notre propre conscience de l’univers. Le monde meurt avec l’évanouissement, le sommeil ou la mort. Il n’y a aucune réalité du monde en dehors de notre propre conscience. Le monde est situé très exactement à l’intérieur de soi. Le reste est un sophisme. » (Micberth, chronique du 10 décembre 1989 sur « Mégalo »)


Sources :

La Lettre (1986).

Micberth et les gros niqueurs (1990).

Actual-Hebdo (1973-1974).

Le Nouveau Pal (1982).