L’anarchisme de droite, mis à toutes les sauces, est en passe de devenir un véritable brouet indigeste, bien éloigné de la recette d’origine. Et si de nombreux blogs et sites sur Internet ajoutent chaque jour de nouveaux personnages publics censés appartenir à la grande confrérie (acteurs, chanteurs et autres ludions), on s’éloigne de plus en plus du travail universitaire de F. Richard qui sert pourtant allègrement de référence. Si le terme « anarchistes de droite » désigne tous ceux qui n’adhèrent pas à la pensée unique de l’idéologie dominante qu’ils dénoncent avec violence, alors, oui, ils sont nombreux aujourd’hui. Mais le raccourci est un peu simpliste.

Dans un entretien (inédit) avec François Richard, en 1992, Micberth, désigné comme l’un des principaux représentants de ce courant « politico-philosophique », agacé par le bourdonnement médiatique autour du sujet, apportait déjà quelques précisions utiles :

 « Il est vrai qu’il y a eu longtemps une confusion entre la noblesse d’un anarcho-droitiste incarné par des écrivains de race, de grands indépendants et la gouaille souvent piquante des singularités venues du spectacle du cinéma et de la chanson. Hommes et femmes entiers, n’ayant pas peur des mots, individualistes jusqu’à l’égoïsme et proférant des vérités de petits boutiquiers.

« Dans l’acception du premier sens d’anarchisme de droite, il y avait du parvenu, du fort en gueule : on vitupérait le fisc, la fuite des valeurs morales, en se grattant d’une main guerrière une sous-ventrière poisseuse, même si c’était accoudé au bar d’un hôtel de passe. On refusait l’ordre établi, la société républicaine, la démocratie, mais, fortune faite, on se sapait comme un milord, on devenait propriétaire terrien et on dînait en tête à tête avec les plus hauts magistrats du pays. L’équipe Audiard en est un exemple parfait, l’amer Michel, dialoguiste du cumulard Moncorgé dit Gabin et ami intime du coco chic Maurice Biraud. Paix aux âmes, cendres et charognes.

« L’anarchisme de droite commença son chemin, sa carrière officielle, par un malentendu. L’esprit simplificateur de la presse quotidienne, confusion aidant, fit le reste.

« L’anarcho-poujadiste est essentiellement amoral, à la différence de l’anarchiste de droite. C’est un homme d’apparence. Il est toujours issu d’un milieu populaire et a bénéficié d’une grande réussite matérielle ou de la consécration des médias. Ce qui est rarement le cas de l’anarchiste de droite qui est, certes, une référence culturelle mais souvent maudite.

« L’anarcho-poujadiste, même brillantissime, reste toute sa vie un épicier, l’anarchiste de droite est un seigneur de naissance.

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S’il ne réfutait pas complètement l’appellation paradoxale (ou encore « oxymore »), Micberth, néanmoins n'était pas convaincu par l’étiquette.

 A la question de François Richard : « Y a-t-il donc, selon vous, une véritable galaxie anarcho-droitiste ? », Micberth répondit :

« Je veux bien tenter d’expliquer la position de ces planètes. On vient de voir « la gauche », si j’ose dire, de cette mouvance, qui sent un peu l’urinoir public, le pastis et la sueur de fesses, mais qui est agréable à écouter en raison de sa truculence, de ses effets verbaux et du spectacle divertissant qu’elle a souvent offert à la France d’après-guerre.

« Au centre, je placerai l’anarchisme de droite culturel, celui que vous avez parfaitement défini dans vos ouvrages et dans votre thèse en Sorbonne. C’est, disons, l’anarchisme de droite officiel. Vous en êtes le théoricien incontesté et il suffit de se référer à vos ouvrages qui font autorité.

« Très à droite de ce fonds culturel, il existe un anarcho-fascisme dont je préfère ne pas parler, tellement il m’est étranger. Rebatet aura été le plus illustre de ses représentants. Style étincelant mais idées tout à fait « caséeuses » du monde.

« Et puis, selon moi, au-dessus de tout ça, très en altitude, existe l’aristocratie libertaire ou anarcho-aristocratie, monde dans lequel je me situe et me sens parfaitement à l’aise. Je l’appellerai la nouvelle aristocratie, encore eût-il fallu que l’ancienne existât, donc appelons-la aristocratie tout court. (...)

« Dès 1789, les opposants aux idées dites nouvelles, à la canaille républicaine, ont été baptisés « aristocrates ». L’emploi du mot est donc récent. Deux siècles, pour moi, ce n’est rien, quatre fois mon âge.

« Souvenez-vous, l’abbé Maury, fils d’un savetier de Valréas situé dans les Etats du Pape, était traité d’aristocrate alors que les membres de la noblesse, députés de gauche à l’Assemblée constituante, ne l’étaient pas.

« Ecoeurante époque de notre histoire où Danton demandait à la Convention nationale que « les aristocrates de l’intérieur soient mis sous la pique des sans-culottes » et un peu plus tard, cette saloperie à pattes de Saint-Just exigeait que l’on déchaussât tous les aristos de Strasbourg pour chausser dix mille fantassins nu-pieds de l’armée du Rhin.

« Au XIXe siècle, il y eut un glissement du sens et un emploi abusif du mot « aristocrate ». On confondit noblesse et aristocratie. De nos jours, pour le commun, est aristocrate le noble par ascendance qui possède au moins une particule, une terre ou un château. C’est une parfaite couennerie, une intox et une intolérable déviation imposée par l’usage républicain. Pire, une aberration. (...)

« Pour nous, il faut être clair, l’aristocratie est une conception politique, une manière de voir l’organisation de la cité, de la chose publique et un aristocrate est simplement un adepte de cette manière de voir les choses. Rien à voir avec la noblesse qui fut respectée et respectable mais qui ne représente plus rien dans un pays qui, depuis deux siècles, a renversé l’Ancien Régime. Noblesse embourgeoisée, illuminée, franc-maçonne, républicaine, belliciste pendant la guerre 14-18, au nom de la France, oublieuse du massacre de l’Ouest par la canaille révolutionnaire, heureuse de servir l’Etat républicain, complice du tout-pouvoir, bradant ses terres, ses châteaux pour en faire des relais pour touristes fortunés et aussi énarques, guerriers, fin de race vendant tout, endimanchée pour conter ses histoires prestigieuses, immonde et inexplicable reliquat de ce que fut l’honneur de porter un nom, d’être attaché à une terre, à une exceptionnelle et merveilleuse tradition.

« La noblesse d’aujourd’hui ne représente plus rien. Finie. Pas même les vertus cardinales. Il y a de la pitrerie, chez elle, à vouloir ressembler au bourgeois parvenu. On reçoit au château comme jadis recevait le riche meunier, avec des usages de femme de chambre mariée au  notaire du village. La mesnie est morte, érodée par la dispersion des familles et laminée par le désir de paraître, d’exister socialement en milieu républicain. Pour continuer à ne rien faire, et jouir de petits privilèges, la noblesse est devenue fonctionnaire. »

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François Richard, qui a réuni dans son « Que sais-je ? » des auteurs aussi différents que Gobineau, Drumont, Bloy, Bernanos, Nimier, Laurent, Drumont, Céline, Daudet, Micberth, etc., expliquait lors d'une interview qu’« un anarchiste de droite digne de ce nom ne se contente pas d’émettre des borborygmes satiriques à la radio ou à la télévision, d’écrire un article ou un livre incendiaire : il vit ses principes. Il n’est pas le bouffon du pouvoir, le provocateur maison, le sémillant putasson : il subit les tracasseries des pouvoirs publics, il est traîné en justice, jeté en prison, traqué dans sa vie privée, diffamé, occulté, paupérisé. Le seul homme de cette trempe, à ma connaissance, qui défende depuis près de trente ans les mêmes principes, c’est Michel-Georges Micberth. » (Eléments n° 72, hiver 1991)

 Pas si simple d’être « anar de droite » !