Nous sommes en mars 1973. Micberth se remet d’une sévère hépatite. Jean-Marie Le Pen, qui a créé le Front national quelques mois plus tôt, lui propose d’être son candidat aux prochaines législatives dans le Cher. Cavanna vient de lui écrire en concluant par « ... et de toute façon, je vous emmerde ». Son père, Georges, est mort à Tours le 20 février. Il publie des articles incendiaires dans « Actual-Hebdo ». Devenu Berrichon d’adoption, il exècre Paris et nous explique pourquoi :

 « J’arrive dimanche matin à Austerlisse. Qué bataille ! Qué soleil ! Plutôt frisquet les aminches ! Prends taxi qui branle comme un tortillard d’avant-guerre. Me retrouve à Montparnasse. Paname, dieu que tu as changé !

« Ici  nous n’aimons pas Paris, à l’unanimité. Mais comme tous provinciaux, il ne nous déplaisait pas, de temps à autre, de traîner flânement nos sabots pleins de paille sur les Champs-Elysées. Depuis quelques années, mes voyages à Paris se résumaient à gare, taxi, but du voyage, taxi, gare, bye bye.

« Dimanche, j’ai voulu retrouver des plaisirs anciens. J’ai flâné dans Paris, de pubs en brasseries et de cafés en drugstores. Qué surprise, vous disais-je ! Paris est moche, puante, crasse. Les femmes, de 15 à 95 ans, tuent leur ennui devant un même caoua contenu dans une espèce de dé à coudre en terre cuite. Regardent-elles le reflet de leurs paupières outrageusement peinturlurées en arc-en-ciel ? Essaient-elles de trouver au fond du liquide noir les raisons de leur solitude ? Ben je sais pas. Ce grand troupeau de femelles trop baisées, trop laissées, trop déçues, qui, tels les chameaux d’une caravane dodelinent dans les immensités hostiles...

«  J’ai vu à Saint-Germain des gamines qui se vendaient pour un demi tiède ou un chocolat chaud. J’ai vu des hommes sans âge, translucides, s’accrocher en tremblotant aux rotondités de femmes sans espoir. J’ai vu les monstruosités pustulantes des mélanges raciaux : gnomes eurasiens d’un quintal, saouls de drogue, de poussière et de bruit. J’ai vu ces animaux tristes et ces grands chiens malades. Ce qui m’a le plus effrayé est la pâleur des Parisiens, cette fragilité morbide, ce nervosisme vital, et le manque de fric d’une jeunesse sans but. Tout cela baignant dans une sensualité de rats d’égout, dans une pornographie de paumés.

« Seul un couple de Noirs, beau comme tout, éclairait cette grisaille. Des Noirs lumineux, on voit décidément de tout à Paris ! Ils avaient un demi-siècle à eux deux. Ils pétaient la santé et le bonheur de vivre. Curiosa !

« Alors ça serait ça la France ? Des clowns anémiés pour mauvais cirque de vie et de mort ? Combien en province sommes-nous privilégiés, sommes-nous loin de ces pantalonnades ? Que la nature est belle dans nos campagnes, dans nos arbres gavés de sève, dans nos champs forniqués par le soc dru ! Nos volailles, nos vents, nos pluies, nos femmes, nos enfants... Quelle santé possédons-nous !

« En tournant dans le carrousel du drugstore Saint-Germain, j’avais honte, honte de ma santé (malgré les suites d’hépatite), honte de mon poids, de ma force, de ma lumière (pas bêcheur Asudam). Par instants, j’avais vraiment peur d’être bouffé. Les Parisiens me regardaient avec les yeux sanguinolents de leur ventre vide, des grands yeux profonds comme nos puits, expressifs comme les plantes des pieds de nos femmes. Il y en avait bien deux ou trois qui m’avaient repéré dans l’intention légitime de m’estourbir pour me consommer. Cochon rose frétillant de la queue en tire-bouchon j’étais, le groin encore humide de la rosée de mon terroir.

« Bon comme je suis, on m’aurait demandé poliment un petit bout de doigt, d’orteil ou de fesse gauche, j’aurais pas su refuser. J’entendais bien derrière moi les reniflements. Ils aspiraient mon oxygène, adoucissaient leur haleine fétide avec ma chlorophylle. Certains voulurent sucer, juste trois coups de langue, rapidement pour ne pas déranger. Je ne pouvais pas tolérer, comprenez-moi. J’appréhendais la réflexion d’un titi : « Vise un peu la grosse friandise ! » J’étais tellement superbe que c’en était inadmissible ! L’insulte à la carence.

« A peine avais-je posé le pied sur la plate-forme du train qui me ramenait chez moi, que j’entendis les clap clap sinistres des mâchoires qui se refermaient derrière moi dans le vide. Asudam s’en allait. Rastignac, jamais il serait. » (Micberth-Asudam in Actual-Hebdo n° 14, 17 mars 1973)

Quelques mois plus tard, « Le Crapouillot » consacrera son talent dans « L’anthologie du pamphlet de la Libération à nos jours ».

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