Tout petit, déjà, Micberth aimait les mots. C’est en 1953, à l’âge de 8 ans, qu’il écrit son premier poème, un moyen pour lui d’échapper à l’incompréhension familiale, de s’évader du monde étroit qui l’étouffe. Dix ans plus tard, il fonde la Jeune Force poétique française. Il lance alors le « libéralisme poétique » et part en guerre contre les vers de mirliton. Il affirme : « Bien écrire ne consiste pas à étudier mot à mot ses textes, à peser les phrases et disséquer les propositions. Bien écrire consiste à rester simple, à communiquer avec l’être par le coeur. L’imperfection touche par sa sincérité. » C’est ainsi qu’avec ses élèves et collaborateurs du service de recherche de l’école de Tours (le romancier A.D.G. entre autres), il mettra au point une nouvelle façon d’écrire, véritable révolution dans l’évolution de notre langue : « Cette façon spécifique de mélanger au français orthodoxe une langue approximative, argotique et technique », comme il le précisera plus tard. Ce qu’on appellera « le style mèque », dont Micberth usera et abusera dans le journal pamphlétaire Actual-Hebdo, en 1973 et 1974.

Il s’interroge alors : « Doit-on passer son existence à se rapprocher au mieux du bon usage, ou doit-on comme je le pense écrire avec ses tripes en prenant le risque des approximations, des néologismes, des barbarismes, etc. ? »

Le texte qui suit, publié sous la signature d’Eric Asudam, est extrait d’Actual-Hebdo du 17 mars 1973.

Les mots

 « Quelle différence y-a-t-il entre le mot formulé et l’idée que l’on souhaite exprimer ? Cela tient au vocabulaire qui nous manque et à notre flemme endémique d’aller puiser dans notre patrimoine linguistique. Nous vivons l’époque des approximations. Est-ce un mal, est-ce un bien ? Nous vivons l’époque du moindre effort, de la relation ébauchée, de la libération des passions. Le règne de l’hypothalamus sur le cortex, de l’instinct sur la raison. Meuh !

« Ainsi, il m’arrive très souvent dans ce journal de ne pas corriger mes sales habitudes. J’ai parlé de LA NMPP, alors que je voulais dire DES NMPP (il s’agit des nouvelles messageries) pour la mauvaise raison qu’entre nous, et depuis des années, en dépit de la réalité, nous conservons dans le langage courant ce singulier erroné. Mystère.

« Je ne parle pas du bon usage dont je me fous comme de l’an 40. Le grammairien Grevisse lui-même, après nous avoir montré le droit chemin, nous incite par des exemples prestigieux à cochonner le français de la plus ingrate manière qui soit. Je parle de la persistance que nous avons à prendre par flemme et par négligence des raccourcis qui deviennent avec le temps des habitudes puis des méthodes. J’évoquais dans le n° 12 d’Actual-Hebdo l’enterrement de mon père, et je disais que ma mère « chaloupait comme au temps des tangos de sa jeunesse ». Eh bien non ! On ne chaloupe pas en dansant le tango, on tangue. On chaloupe en dansant la java. Et cela est valable pour tout. Nous sommes arrivés à une telle dose de couennerie qu’il devient nécessaire de tirer le signal d’alarme.

« Les Français ne se comprennent plus. Ce qui restait admissible pour les idées abstraites est devenu intolérable lorsqu’il s’agit d’exprimer des faits concrets. Combien de fois ai-je observé avec colère les protagonistes d’un dialogue de sourds ! Et combien ai-je eu de fois envie de leur mettre ma main à travers la gueule ! Des heures de conversation inutile alors que les personnes pensaient les mêmes choses sans pouvoir ajuster leur vocabulaire, sans écouter, sans expliquer, avec ce besoin morbide de vouloir convaincre à n’importe quel prix.

« Pourquoi distingue-t-on le langage parlé du langage écrit et vice versa ? En contraignant la linguistique par des règles insensibles et mathématiques, on appauvrit celle-ci ou pire, on donne le prétexte facile aux commodités. Les apprentis conducteurs apprennent, pour la passation de l’examen, le code de la route qu’ils oublient bientôt avec candeur et désinvolture. Et lorsqu’ils se trouvent dans une situation particulière où ils ont à répondre de leurs connaissances ou à exercer celles-ci, ils s’octroient toutes les vertus, confiants dans un savoir mal assimilé et faisant pourtant doctement référence à celui-ci. Pauvres merdeux du langage qui s’agrippent désespérément aux petites technicités miteuses !

« – Mais on vous suit mal Asudam. N’y aurait-il pas chez vous contradiction ? Vous désirez l’emploi du mot juste, l’observation rigoureuse, et pourtant vous vous faites le chantre du langage parlé, des néologismes, des barbarismes, des approximations, des patois, de l’argot ! »

« Oh comme je sens que cela vous plairait que je sois confus et que je ne puisse me retrouver dans les dédales de ma belle intelligence ! Manque de pot. Je sais de quoi je cause !

« La liberté d’expression – je parle dans l’emploi et l’agencement des matériaux –, est à considérer en dehors de toutes règles préétablies. Cela ne signifie pas que nous devons nous passer de mètres étalons. Mais ces mètres étalons ne seraient que le reflet, ou mieux, le glossaire des cultures originales spontanées ; voire ésotériques. Une sorte d’Encyclopédie dans laquelle nous pourrions puiser à notre gré, au fur et à mesure de nos besoins ou de nos connaissances. Me suivez-vous ? Bon. Merci.

« C’est le mitan qui m’effraie, une fois de plus. Ceux qui ont besoin de jalons pour exister, de cadres étroits ; les grotesques lettrés qui s’affolent de l’intrusion des mots étrangers dans notre vocabulaire ; ceux qui analysent logiquement et grammaticalement les phrases et qui préfèrent étriquer leur pensée plutôt que de concéder à la raison un emploi vicieux, une liberté osée ; ces faux maîtres qui, en principe depuis Jules Ferry, enseignent une langue désincarnée, appauvrie par les règles de la stricte observance ; ce bon usage sénile qui fait tant goder nos académiciens.

« Foutons en l’air ces règles ! Soyons responsables de nos lettres, de nos mots, de nos phrases. L’enfant traverse la rue sans regarder, parce qu’il sait que ses parents le protègent. Les parents tournent la tête : l’enfant est écrasé par une voiture. Il est tellement facile de s’en remettre aux règles classiques. Feignasses d’humains ! Sans couilles et sans volonté ! Sales petits complexés ! Esclaves du moindre effort ! Comprenez une fois pour toutes que la vie n’existe qu’en fonction de la conscience individuelle de la vie. Toute autre démarche est de la spéculation, de la lâcheté collante et gluante. Ne laissez pas aux autres la responsabilité de penser pour vous. Votre conscience vous impose tous les devoirs, mais vous donne aussi tous les droits. Lorsque vous souffrez, c’est VOUS qui souffrez. Lorsque vous mourrez, c’est VOUS qui mourrez.

« Tout reste donc une question d’honnêteté entre l’éprouvé et l’exprimé, et cela individuellement nom de dieu ! Je certifie que deux personnes mises en présence, ne parlant pas la même langue, peuvent échanger progressivement une foules d’idées à la condition que ces personnes harmonisent scrupuleusement l’éprouvé et l’exprimé. Alors que Pierre et Paul, natifs du même pays, s’exprimant dans la même langue, sont incapables de s’entendre s’ils font référence arbitrairement ou culturellement à la signification des mots de la communication.

« Que tous ceux qui n’ont pas compris ce qui précède se tirent une balle dans la tête, car il n’y a aucun espoir pour eux. Poil aux yeux ! » (Actual-Hebdo n° 14)

***

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S’il découvrit Louis-Ferdinand Céline avec bonheur à l’âge de 12 ans, avec le temps et la maturité, Micberth se tournera vers d’autres maîtres en écriture qui l’influenceront sans aucun doute. A propos de Céline, il sera péremptoire : « Savoir si Céline fut le plus grand n’a aucun intérêt, c’est du domaine de la subjectivité. Ce que l’on peut affirmer sans se tromper c’est sa dimension universelle, son éblouissante importance dans le temps et dans l’espace. »

Concernant Bloy et Léautaud, deux immenses talents diamétralement opposés, il écrit en 1983 dans sa préface à Petite Somme contre les gentils, avant la publication du Nouveau Pal et de La Lettre :

« Je suis un peu déchiré, il est vrai, entre deux conceptions opposées de l’écriture : celle par exemple d’un Léon Bloy qui a tout sacrifié à l’art, contempteur de la facilité, puriste jusqu’à la déraison, fignoleur de phrases, poutre maîtresse posée sur le patrimoine antique et celle d’un Paul Léautaud qui haïssait l’art pour l’art, refusait le dictionnaire et militait pour une écriture spontanée, naturelle, pleine d’imperfections, de mauvais usages, mais touchante, authentique, vraie.

« Léon Bloy, le « pèlerin de l’absolu », pour beaucoup de nos contemporains, est presqu’illisible. Il demande un gros effort d’attention, une solide culture et le « Larousse » en dix volumes à portée de la main. Le « Larousse » est d’ailleurs bien insuffisant, tout comme le « Littré », mais quelle joie de le lire ! Quelle constante aventure de l’esprit ! Quel enrichissement ! Léautaud quant à lui, donne le même plaisir mais sans effort. Qui des deux voyait juste, qui disait vrai ?

« Léautaud prétendait qu’avant la quarantaine un homme rongé du désir d’écrire doit se consacrer presqu’exclusivement à la lecture puis ensuite s’attaquer à son oeuvre. Mouais...

« Ces deux auteurs (philosophes ?) prévoyaient avec lucidité l’abêtissement complet de la multitude ; pourtant ni l’un ni l’autre n’aurait pu imaginer que la niaiserie (à laquelle, il faut adjoindre la surculture universitaire) atteindrait chez les jeunes de tels sommets. Vertige... »