Alors c’est dit. A l’instar de leurs papys en 68, les lycéens descendent dans la rue chaque année au printemps. Bravo les papys, bel exemple ! Il faut remonter jusqu’en mars-avril 1973 pour trouver la première grande manifestation de la jeunesse d’après Mai 68. La mobilisation lycéenne aura alors une ampleur inégalée : 500 000 manifestants dans environ 250 villes et 70% des lycées en grève. La jeunesse proteste contre la loi Debré qui veut supprimer les sursis militaires au-delà de 21 ans. Le départ au service militaire doit désormais avoir lieu à l’âge de 20 ans. Micberth, qui est pourtant contre la conscription et a aidé de nombreux jeunes gens à y échapper, prend alors la plume pour dénoncer deux ou trois choses qui le titillent dans le mouvement lycéen.

Les lycéens

« A contre-courant je serai une fois encore. Je suis contre, et fermement contre, les révoltes lycéennes et étudiantes de ces derniers jours. En Mai 68 je fus investi par le Mouvement du 22-Mars et le comité de l’ex-Odéon, de la haute fonction pouèt-pouèt de leader révolutionnaire pour le Centre-Ouest. Tu vois un peu le chef que j’étais... Inutile de te dire que les poteaux à Cohn-Bendit y z’ont été priés d’aller se rhabiller. Je dis ça pour montrer que je ne suis pas le dernier à bouger quand il s’agit de bien bouger. Mais là, du coup, je retourne la veste.

« Pas complice des petits pubères je suis. Mais alors pas du tout ! Chaque jeune Français qui désire ne pas effectuer, pour des raisons personnelles, son service militaire, peut, s’il possède un  peu de force morale, éviter cette triste connerie. Il ne m’est pas possible de vous expliquer comment : le ministre des Armées lit « Actual » (à l’envers parce qu’il est triste con, comme chacun sait, mais il le lit). Si tu veux un tuyau, écris-moi. Où j’en étais ? Ah oui ! En 1968 j’ai vécu une révolte saine de la jeunesse, la révolte du ras-le-bol, du ça-commence-à-bien-faire. Tous les jeunes tiraient les pavés, qu’ils soient de droite ou de gauche. Et puis j’ai vu la politique rappliquer avec ses gros sabots merdeux, les syndicats, les partis. Et tout le monde a chié dans son froc. De Gaulle a claqué des doigts, et en cela je l’approuve, et tout le monde il est retourné à son métro-dodo-boulot, sagement. Quelques folkloriques ont persiflé en flirtaillant avec la pègre. Ils furent décimés, ce qui est bien fait pour eux, na ! Les autres, la grande cohorte des jeunes cons, ceux qui remplaceront les vieux cons dans quelques années, ont porté le képi, la robe du magistrat, la carte tricolore du commissaire de police. Récupérés, comme on dit. Les purs – une poignée –, ont été inculpés, jetés en prison, ou empêchés d’exister convenablement. J’en fais partie. Quelques centaines au plus.

« Alors comprenez que cette fois-ci  je suis pas bon. Pas envie d’être exterminé et de voir mes petits copains profiter de mon martyre. Pas l’âme pour ça...

« Qu’il soit prolo ou richard, chaque jeune conscrit peut éviter l’armée. S’il est con c’est une autre affaire. Tant pis pour sa gueule ! A chaque fois c’est le même truc. Tant que ça ira, ça ira. On part à 300 000 et on se retrouve 2 ou 3 zigs devant le juge d’instruction. Les autres sont fils ou gendre du juge d’instruction, ou du procureur, ou du bougnat, ou du mari de la tante à la concierge qui connaît un employé au ministère de l’Intérieur. J’en ai marre de vos trognes, jeunes merdeux ! Après Filipacchi, ce fut le pop. Après le pop, Guevara. Après Guevara, Mao. Après Mao, le situationnisme. Après le situationnisme, Jésus superstar. Après Jésus, la loi Debré. Vous êtes tous maintenant épiciers, ingénieurs, toubibs, pédeux, pédales, bien structurés. Vous avez fait de la France, malgré vos coups de gueule, un des premiers pays industriels. Alors moi j’en ai marre de payer les pots cassés pour vous, d’avoir mon nom dans les comptes-rendus d’audience du journal local. J’en ai marre d’être montré du doigt, d’avoir les flics chez moi tous les quatre matins.

« C’est fini. Vous êtes des petits cons après les autres petits cons. Au prochain casse-pipe vous serez des centaines de milliers à vous précipiter dans vos rangers pour aller jouer aux petits soldats, sous les ordres d’un Debré quelconque. Jésus a changé la morale. Le Mahatma Gandhi a libéré à lui presque tout seul son pays. De Gaulle a regroupé à la suite de son appel du 18 Juin les dissidents de 40 pour botter le cul aux nazis. C’est l’entreprise individuelle qui compte. Le collectif, ou le collectivisme, comme tu veux, pue. Aux chiottes les plus de cinq ! Je tire dans tout rassemblement. Tatatatata. Tu prends 200 mecs extrêmement doux, tout à fait intelligents et raisonnables. Tu les mets ensemble, tu les excites, et t’en fais les pires ordures. Y’en a marre des p’tits cons. Les p’tit cons à la niche ! » (Micberth-Asudam in Actual-Hebdo n° 17, 7 avril 1973)

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