Scène de la vie ordinaire... L’action se passe en 1974, au château du Ludaix (Auvergne), bien avant qu’on transforme la noble demeure en un lieu de mariages et banquets. Huit ans plus tard, Micberth évoque son différend avec le maître des lieux qui entendait céder sa demeure à une danseuse étoile de l'Opéra de Paris. 

Vive le roi

Dans « Télé 7 Jours », je lis sous la plume de Geneviève Coste : « Aux confins de l’Auvergne et du Bourbonnais, dans le sud de l’Allier, Ghislaine Thesmar restaure un château de conte de fées, avec sa tour et ses jardins fleuris, où elle court se réfugier après chaque voyage (...) Un lieu privilégié et romantique à son image, où la danse vivra. »

Ce « château de conte de fées » abritait, il y a huit ans déjà, – hélas !  – le siège fédéral de la NDF. C’est là le 15 août 1974, que les sicaires du pouvoir post-pompidolien sont venus m’arrêter en fanfare pour me jeter dans un cul-de-basse-fosse.

J’ai en mémoire le sourire de Gislaine Thesmar et aussi – qu’elle me pardonne – ses étranges pieds tordus.

Ruiné par le scandale de « l’affaire des chèques Pompidou », je lui avais vendu un piano et diverses petites babioles. Il me plaît d’imaginer mon piano sonnant sous le martèlement de ses doigts translucides. Je pense aussi à deux ou trois promenades qui eussent été de vrais délices sans la présence anguleuse de cet outil de Pierre Lacotte (son mari !), et à une grand-mère, folle comme je les aime, dont je sollicitai l'ndulgence pour l’aménagement sommaire des lieux : « Un camping ? me répliqua-t-elle, ne vous excusez pas, cher monsieur, votre camping est un camping de luxe ! » Délicieuse mémé !

Nous étions les locataires du comte de D., hobereau toujours royaliste, réduit à brader ses biens par malchance chronique, impécuniosité et aussi, il faut bien le dire, par allégeance à la dive bouteille.

Un tantinet fripouille, le comte de D. avait promis le château à votre serviteur et tout à la fois à Ghislaine Thesmar. Il me faut reconnaître que dans un sursaut d’honnêteté, il m’avait offert la préférence à la condition d’être en mesure de le dépanner d’une dizaine de vieux millions dans un délai aussi court que ses instants de sobriété.

Quand un soiffard rencontre un autre soiffard, qu’est-ce qu’ils se racontent ? Des histoires de soiffards. Le comte n’étant guère fier d’avoir parjuré sa parole, moi malheureux et furieux de perdre le « château de conte de fées », nous nous soûlâmes comme des rustres, sous l’oeil épouvanté de ma chère C., qui bientôt ne put abreuver avec les réserves de ma meilleure cave de tels gosiers en pente. On improvisa un repas. Frêle répit pour deux méchants poivrots de notre trempe. Et la beuverie continua jusqu’à l’aube. Mais avant que le jour poignît (passez-moi ça !) nous régalâmes nos oreilles d’invectives tellement vilaines, que les « gentilshommes » que nous restions voulurent se retrouver pour s’embrocher gaillardement sur le pré. On pressa donc, entre éructations et vesses, C., de nous faire tenir les épées. C. disparaissait, puis navrée revenait nous dire qu’elle ne pouvait mettre la main dessus. Cela plusieurs fois. Ah ! l’aristocratie ancienne et nouvelle parfois ! Nous insultions C. ! Mais allez donc, ivre mort, rechercher deux épées dans une soixantaine de pièces ! A boire ! A boire ! C. n’en pouvait plus fournir et elle se résigna aux mélanges les plus ignobles. Peut-être dans l’espoir de nous achever. Nous avions épuisé ma réserve de vin du Loir. Mais c’est celui-là, précisément, que le comte de D. réclamait et pas un autre. A ce stade d’ébriété, j’avoue que ni lui ni moi ne fîmes la différence. Nous buvions ce que C. nous apportait avec des claquements satisfaits de langue. Pas d’épées et comment se battre ? Comment défendre l’honneur et laver par le premier sang les outrages ? Le bâton ne nous tentait guère, il eût été déchoir, comme se colleter, pour des seigneurs qui se piquaient de bien maîtriser l’imparfait du subjonctif et les citations latines. Et puis les ancêtres du comte de D. avaient jadis frappé monnaie et lui avaient légué l’un des plus vieux noms de France. Je n’étais certes point gentilhomme, mais je représentais la nouvelle aristocratie. Mon culot valait sa maison. Seule l’épée nous eût l’un et l’autre agréés et nous n’avions point d’épées ou alors C. les cachait ou alors je les avais vendues ou offertes, un jour... Allez savoir...

L’aube poignit pour de vrai et il ne fut pas convenable de laisser partir le comte. Je donnai des ordres à C. pour que l‘on préparât la chambre de ma femme qui, éveillée en sursaut, se précipita dans la mienne pour terminer sa nuit. Une demi-heure plus tard, enfin réconciliés, nous gravîmes l’escalier d’honneur du château, bras dessus bras dessous. Le comte titubait et je le portais presque. Il s’effondra sur le lit que je lui présentai et je gagnai ma chambre.

Sous l’effet de l’alcool la mémoire est courte. Je déteste que l’on partage ma couche quand j’ai bu. Apercevant ma femme, lovée dans mes draps, je me mets à rugir et à l’apostropher : « Madame, je vous prie de déguerpir. Vous n’avez rien  à faire ici. Vous me savez un peu parti et je hais salir mon noble vomi avec les fesses d’une femme. Allez raoust ! »

Ce n’était certes pas élégant, mais l’élégance est l’intelligence de la canaille et en amour comme en art, la délicatesse est la vertu des faibles. « Je ne puis aller dans ma chambre, le comte de D. dort dans mon lit ! » « Et que fait ce vieux saligaud dans votre lit, madame ? » « Mais, mon ami, c’est vous qui l’y avez mis ! »

J’ai dû m’effondrer sous l’oeil malveillant de ma femme. J’avoue avoir oublié la suite ; C., plus tard, a téléphoné à la comtesse de D. qui ne semblait pas plus émue que ça par l’absence nocturne de son mari. Puis elle a réveillé le comte qui n’avait pas bougé dans son sommeil ; il était là, les bras en croix, sur le ventre, ronflant comme un marcassin après la tétée, comme je l’avais laissé auparavant.

Meilleur bretteur que lui, assurément, plus jeune aussi de près de quinze ns, plus grand et plus costaud, je l’eusse probablement occis si C. avait eu la mauvaise idée de nous apporter les épées... (Micberth, « Vive le roi » in Le Nouveau Pal n° 15 novembre-décembre 1983

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