« Lorsqu’on dit, au hasard d’une conversation mondaine Valsez saucisses !, Le Menuet des haricots ! ou encore Bitru ou les vertus capitales !, on est regardé comme un aruspice qui adoniserait sa victime en lui enfonçant dans le figne un bouquet de calcéolaires. Non que la Scrofulariacée fût en général choquante à la vue de l’esthète, mais que là, spécifiquement, elle n’eût évoqué rien de symbolique, laissant l’observateur dans une dérangeante perplexité.

« Par contre, si l’on dit Le Gala des vaches !, le coryphée de service ne manquera pas d’assommer l’auditoire avec force références littéraires propres à endormir la meilleure volonté. Il est de bon ton, à la suite de Taha Hussein, de comparer le poète libertin musulman Al-Mutanabbi à Nietzsche, comme il reste convenable d’affirmer que Paraz fut le « Lamanièredeux » privilégié de L.-F. Céline, le « pilleur d’épaves », comme l’écrivait – sans saisir l’injure pour Céline – le brave docteur Camus. A cela Paraz répondait : « Je suis poli avec vous, moi, espèce de Camus. Dans Camus, il y a cabot, Caïn, Caïphe, Caligula, catin, canaille, cautèle et cavon. L’onomastique est une science. » J’ai en mémoire la moue dégoûtée de Lucette, veuve de Ferdine, après que je lui ai parlé d’Albert Paraz* : « Louis (Céline) avait pris en pitié ce pauvre type sans talent qui, comme beaucoup d’autres, profitait de la situation pour nous piller et mieux se faire connaître ! » Cela dit vingt ans plus tard par la dame, entre deux ouisquis et à votre serviteur.

« Mouais. Je veux bien, mais il faudrait qu’un érudit m’expliquât pourquoi Céline affirmait dans de nombreuses lettres que Médème Lucette mouillait méchamment, en feuilletant les derniers envois de Paraz ? Pourquoi ce dernier fut convié chez les parents d’icelle qui, pour un temps, servirent de boîte aux lettres agréée ? Pourquoi Arletty fut dépêchée au chevet de Paraz pour compléter le triptyque de ce qui apparaît aujourd’hui comme la structure d’une amitié sincère ?

« Or Paraz était un grand écrivain qui n’a, certes, pas laissé une oeuvre comparable à celle de Céline, mais qui avait su trouver avant TOUS les autres un ton et un style extraordinaires. Ah ! le style...

« Par perversité et au hasard, j’ai extirpé de ma bibliothèque une dizaine d’auteurs : Malraux, Larbaud, Vian, Camus, Vigny, Balzac, Drieu, Supervielle, etc. Chez chacun j’ai relu quelques pages. Chiantes à mourir. Seul Drieu la Rochelle, avec son Charleroi, sortait du lot et m’a tenu éveillé jusqu’à l’aube et... ce n’est pourtant pas son chef-d’oeuvre.

« Avec désinvolture, puissance et savoir-faire, Paraz écrasait tous ces besogneux de la plume, tous ces échaumiers du verbe chez qui on sent la capricante instabilité de la concordance des temps, la cautèle farineuse du substantif, l’essoufflement sibilant et presque agonique des épithètes et le bricolage entremichonné du plan.

« Prose idiotifiante qui s’attrape les pinglots dans le moindre lacs et qui s’en dépêtre avec mollesse sans pugnacité aucune. On se fout du contenu qui s’articule toujours autour des mêmes trouduculages (mes pères écrivaient trouducutages), mais le style, ah ! le style ! L’oblation de Dieu à l’écriveur !

« Tous : Céline, Rebatet, Paraz, etc., se reconnaissaient un maître, celui devant lequel, en signe d’allégeance, j’enfonce volontiers mes genoux dans la marne (pas celle décrite par Verlaine et qui décorait le gentil prose de Rimbaud : l’engrais !). L’homme de l’Art avec un A majuscule, que les jaloux foireux se sont plu à microscopiser, le chevalier de l’absolu, l’adorateur du Beau, le génie que je solennise chaque seconde de ma vie, celui qui me fait l’âme turgide, c’est à-dire le mendiant ingrat, Léon Bloy.

« Justement, le reste n’est que littérature...

« Car, comme le disait Jean Jaurès, « Les hommes mêlés à la grande action reçoivent de la vie des lumières pénétrantes sur les grandes oeuvres de l’esprit où circule une vie secrète. Toutes les forces de l’esprit humain et de l’action humaine se rejoignent, se complètent, s’interpénètrent les unes les autres. » (Moi citant Jaurès, on aura tout lu !)

« Il faut lire et relire Albert Paraz et, en particulier, Le Gala des vaches, dans lequel on retrouve Céline, Bernanos entre autres et mille anecdotes sur la Libération et ses fornicateurs, maquisards de femmes liées. Paraz, créateur véritablement original, bouffé par les B.K., obsédé par le Verne Résorcine, mène de son lit d’hôpital le combat pour la réhabilitation de Céline. Et en prime, on nous offre à la fin du livre la « lettre de Céline sur Sartre et l’existentialisme » : A l’agité du bocal. Branlée magistrale. Morceau d’anthologie. Céline pamphlétaire à l’état brut, pourfendeur de souillasse et devin malgré lui. Le Gala des vaches a paru, je crois, en 1948 chez Elan et a été réédité chez Balland en 74, avec une préface d’Alphonse Boudard. Cela ne s’imposait pas (pour l’élite), mais les petits soliveaux qui vont enfin découvrir Paraz sauront au moins de quoi il retourne.

« Et pour tous ceux qui adorent méphitiser leurs petits neurones et demeurer résolument bene astrucum, il reste l’oeuvre complète de Bertrand Poirot-Delpech, dont le talent1 procure à l’esprit ce qu’un baiser de Laurent Fabius doit laisser aux lèvres de l’honnête homme.

« Pour gerber, les cabinets sont à côté ! »

Note :

1. « Fallait-il que j’ignore le malheur pour me plaindre d’en manquer. » B. P.-D., La Folle de Lituanie, Gallimard 1970. C’est beau comme du A.C. Swinburne dans une traduction de Lola Tranec. Ah ! l’érudition... 

(Source : Micberth in « Révolution droitiste » n° 11, mars-avril 1982)

 Paraz3.jpg

NDLR : Un peu de littérature ne fera de mal à personne. Pourquoi Paraz ? Et pourquoi pas ? L’oeuvre de Paraz (ses pamphlets notammenta été plusieurs fois rééditée depuis la publication de cet article et le personnage a fait l’objet d’études diverses. Micberth a également sorti en 2004 un CD d’entretien d’Albert Paraz avec Anne Brassié et Jacques Aboucaya (49 mn d’interview) qui est toujours disponible.

* Pour ce qui est de la citation de Lucette Almanzor concernant Paraz, elle est tirée d’un article publié en juin 1973 (« Lili, c’est Line ? ») dans « Actual-Hebdo » n° 26, où Micberth raconte son entrevue avec Mme Céline à Meudon, en 1969.