Le 13 mai 1969, le magistrat Roger Beauvois, chef du service juridique du Conseil constitutionnel, signait un reçu pour le dépôt d’un dossier comprenant « un acte notarié, un accord signé et un cahier qui est dit contenir 101 présentations pour la candidature de M. Micberth à la présidence de la République ». Afin de prouver l’imposture démocratique, celui-ci, « pour déjouer la comédie puérile des politiciens et pour mettre au grand jour les vrais problèmes sociaux de notre pays » avait envoyé un communiqué à l’AFP (le 30/04/1969 à 22 h), pour annoncer sa candidature, s’étonnant déjà de « la complaisance réifiée des milieux de l’information ».

      Dans son édition du 15 mai, le journal Le Monde relate l’arrivée des candidats ou de leurs représentants :

« La soirée au Palais-Royal.

« Au début de la soirée, les représentants de MM. Michel Rocard (P.S.U.) et Gaston Defferre (S.F.I.O.) étaient venus au Palais-Royal accomplir les dernières formalités de dépôt des candidatures.

« Le frère de M. Alain Krivine, présenté par la Ligue communiste, était également venu, accompagné d’une dizaine de jeunes gens, présenter les deux cent trente et une signatures recueillies dans quarante-neuf départements par le candidat.

« Des épisodes plus pittoresques se sont déroulés dans la nuit. Ainsi deux adeptes du « philosophe et chercheur Michel Micberth, directeur d’un « centre d’études et de recherches expérimentales » venus tout droit d’Indre-et-Loire, un garçon et une fille aux cheveux longs, apportaient cent une signatures recueillies, devaient-ils préciser, dans douze ou treize départements... »

On appréciera le commentaire sur la chevelure du « garçon », qui était Yves Boulay, ami et collaborateur de Micberth, la « fille » étant Carol Duvernoy, attachée de presse, qui sera par ailleurs habillée par France-Soir :

« Vers 23 h, arrivée d’un jeune couple. Elle, blond-platine, robe décolletée, lui, collier de barbe et noeud papillon. Ils n’ont rien à déclarer. Ils viennent « vite » de Limeray (Indre-et-Loire) apporter le dossier du « prophète », M. Micberth, qui a accumulé 101 signatures d’élus... » et qui ne fait pas de politique. » (Journal du jeudi 15 mai 1969)

No comment !

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      Petit retour en arrière. Qu’était donc venu faire Micberth dans cette galère ?

Il a alors 24 ans, dérange beaucoup les édiles dans sa bonne ville de Tours et a la ferme intention de « réveiller les masses endormies ». Comme on est en démocratie, il va se prêter au jeu de dupes. Normalement, il devrait avoir la parole, comme tout autre candidat. Pendant un mois, ses collaborateurs du Centre d’études et de recherches expérimentales du Plessis sillonnent les routes du Centre et de la Bretagne pour récolter les 100 signatures de grands électeurs pouvant appuyer sa candidature. Il remet alors à ses représentants une lettre expliquant sa démarche :

« ...Bien que nous connaissions, et malheureusement d’avance, l’issue des élections, il apparaît qu’un homme doit défendre au-dessus de tout conditionnement partisan l’apolitisme en matière de gestion nationale.

« Comment ne pas être irrité devant les luttes stériles des partis qui n’ont pour effet que de lasser les hommes de bonne volonté et de faire supporter au peuple les frais de leurs diatribes orageuses... »

Il recueillera effectivement le nombre de signatures requis (et même plus, 124 au total), mais cette candidature jettera la panique dans les milieux bien-pensants. Les Renseignements généraux qui veillaient depuis l’année précédente, s’activent. Et le Conseil constitutionnel argue de doublons et vices de forme pour faire redescendre le chiffre au-dessous de 100.

 

Micberth expliquera quelques années plus tard la méthode :

« Je n’avais pas encore vingt-quatre ans. Comment aurait-on pu supporter qu’un garçon de mon âge témoignât sur les antennes de la sacro-sainte ORTF ? Le Conseil constitutionnel qui sait, lorsqu’il le juge utile, ne pas s’embarrasser de scrupules, avait réussi à éliminer une vingtaine d’investitures bretonnes. Restait ce dossier de cent une signatures et la difficulté de l’écarter sans provoquer un énorme scandale. Alors, une tactique très efficiente germa dans le cerveau d’un de nos brillants technocrates : éloigner en douceur le gêneur en faisant discrètement pression sur quelques-uns des grands électeurs qui l’avaient cautionné.

« Ce qui fut fait.

« La marge n’étant pas bien grande, il suffisait que deux ou trois maires se désistassent pour annuler ma candidature. Les préfets et les inspecteurs des Renseignements généraux furent chargés de cette basse besogne. Quand un préfet téléphone au maire d’une petite commune pour l’assurer qu’il y va de l’intérêt de la nation de se rétracter, ce conseil assorti de menaces en filigranes, le maire, dix fois sur dix, en bredouillant, s’exécute. Quand un président d’un syndicat de la presse conseille à ses collègues de jeter au panier les communiqués d’un candidat, dix fois sur dix, les communiqués terminent leur carrière dans les poubelles des rédactions. Quand les pouvoirs publics conseillent aux directeurs des principales agences de presse de se poser un télétype sur la langue, quatre fois sur quatre, les agences de presse restent muettes. Je ne fus donc pas candidat officiel à la présidence de la République, et pourtant, cent vingt-quatre grands électeurs avaient soutenu ma candidature. » (Pardon de ne pas être mort, 1977)

 

Le 15 mai, la liste des candidats à l’élection présidentielle est arrêtée : Deferre, Ducatel, Duclos, Krivine, Poher, Pompidou, Rocard. Micberth n’y figure pas. Il fait une réclamation, présentée par le C.E.R.E. (qui  n’est pas un parti politique, rappelons-le). Aussi, peut-on lire dans le compte rendu de la séance du 17 mai 1969 du Conseil constitutionnel, présidé par Gaston Palewski, à propos de cette réclamation :

« Cette réclamation est présentée par le C.E.R.E. et ne porte pas la signature de M. Micberth.

« Le C.E.R.E. n’ayant pas fait l’objet de présentation sa réclamation n’est donc pas recevable aux termes de l’article 7 du décret du 14 mars 1964.

« M. Luchaire pense également que la réclamation doit être rejetée pour irrecevabilité mais se demande s’il ne conviendrait pas de mentionner au moins dans les visas que de toutes façons M. Micberth n’avait pas recueilli cent présentations valables.

« M. Dubois estime que si le Conseil rejette la réclamation comme irrecevable il ne doit pas aborder le fond.

« M. Chatenet approuve la proposition de M. Luchaire et il est finalement décidé de mentionner dans un considérant que M. Micberth ne remplissait pas les conditions requises quant au nombre de présentations. »

Et roulez jeunesse ! La décision portant le n° 69-17 sera publiée au Journal officiel du 18 mai 1969.

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La palme de l’abjection revient sans doute à Philippe Bouvard qui écrira dans Le Figaro : « Enfin, Michel Micberth, qui s’intitule directeur du Centre d’études et de recherches expérimentales du Plessis (dans l’Indre-et-Loire), président d’un groupe international d’auteurs d’expression française regroupant trente-cinq mille écrivains ( !) appartenant à quarante pays, prétend avoir réuni cent vingt-neuf signatures néo-fascistes. Pour créer un choc parmi le corps électoral, Michel Micberth s’était laissé poussé les cheveux et la barbe. Il avait également réuni quelques armes automatiques à toutes fins utiles. Il ne comprend pas son éviction par le Conseil constitutionnel puisque ses soutiens provenaient de quatorze départements. Son projet consistait à transformer huit cent mille jeunes Français en révolutionnaires et à leur proposer comme modèle le forcené de Cestas. Nous revenons de loin. » (Extrait de « Vingt-quatre heures sur vingt-quatre », Le Figaro du mardi 27 mai 1969)

      « Poupin le Bref » (ainsi que Micberth le baptisa quelques années plus tard) était déjà un grand professionnel...

      En 1973, 3 sénateurs centristes proposent de porter à 2 000 le nombre de parrainages nécessaires pour le dépôt d’une candidature. Le nombre sera ramené à 500 signatures d’élus (au lieu de 100 précédemment) d’au moins 30 départements (et non plus 10, comme en 1969). Et plus question d’anonymat pour les parrains dont les noms et qualités sont publiés au J.O.

Étonnant,  non ?

En raison du décès de Georges Pompidou, le texte ne sera examiné qu’après l’élection de 1974. La loi organique, votée le 18 juin 1976, sera appliquée en 1981 pour la première fois.