Les élections. « Oh là là ! Eh bien dites donc, on l’a échappé belle ! Les membres de la cellule de mon village défaisaient tristement la corde qui m’était destinée. – Faites-moi penser la semaine prochaine à récupérer mon pognon en Suisse. Triste spectacle que celui de dimanche soir ! Tous ces communistes crachant dans le ruisseau le couteau qu’ils tenaient entre les dents... Ils sanglotaient comme des gamins, le cœur gros comme l’édition originale des œuvres complètes de Karl Marx.

Le chef de la cellule, un grand roux, s’avança vers moi, la moue désabusée, l’œil éteint. Il serrait convulsivement entre ses doigts la corde qui devait me pendre. Ses lèvres tremblaient.

— Mon pauv’vieux ! dis-je en lui tapotant l’épaule.

N’y tenant plus, il enfouit son visage baigné de larmes dans ma barbe bouclée.

— Si vous saviez ! Si vous saviez !

— Je sais.

De longs sanglots déchiraient sa poitrine velue de travailleur syndiqué. J’étais bien embêté pour lui. Il releva son visage ravagé par les pleurs, et dit comme une supplication :

— Nous aurions tellement aimé vous pendre !

J’essayai de le rassurer :

— Ça sera pour la prochaine fois !

— Il n’y aura jamais de prochaine fois !

Et il repartit de plus belle. Il pissait la flotte de partout.

— Mais si, mais si, dis-je avec conviction.

Je comprenais combien la déception était grande pour ces ouvriers humbles et généreux. Ils avaient fait le sacrifice de plusieurs tiercés pour pouvoir m’offrir une belle corde de chanvre. Et je ne pouvais, sans rougir de moi-même, omettre de faire un geste.

— Vous pourriez peut-être faire semblant de croire à la victoire de la gauche et me pendre quand même.

— Merci beaucoup, M. Asudam. Mais le cœur n’y est plus, me répondirent-ils en chœur.

— Eh bien, qu’à cela ne tienne mes braves amis. Je vous rachète votre corde.

— Merci. Merci.

— Et tenez, je vous l’offre.

D’une main je rendis la corde ; de l’autre je tendis les sous.

— Pour un fasciste vous êtes chouette, M. Asudam. Pour un profiteur vous êtes honnête. Sachez qu’au lendemain du Grand Soir, nous serons fiers de vous pendre.

Je commençais à chanstiquer comme au bout de la corde. Mes moustaches tremblaient d’émotion. Pour un peu j’aurais chialé comme une gonzesse.

— Dans mes bras, dis-je. Venez braves petits ouvriers ! Posez vos mèches folles sur ma poitrine paternelle de réactionnaire confiant. Ah qu’il est doux de baiser vos têtes simples ! Tendez vos mains calleuses que j’y dépose ma dextre aristocratique, mes braves enfants.

Jusqu’à l’aube, chez Henri, on a bu le cabernet à même les fûts, débondant les tonneaux avec de grands coups de dents fauves. On a chanté, on a dansé, on a craché dans la sciure ; et on s’est bien promis de se revoir aux prochaines élections. Savez-vous que les ouvriers sont des hommes comme vous et moi ? Certains en font des histoires à n’en plus finir. Mais non. Ce sont des petits gars simples, le cœur sur la main.

Celui qui a une cigarette me la donne. Merci. Celui qui a quatre petites roues me les offre. Merci. Ainsi je deviendrai pour une fraction de temps l’inventeur génial d’un véhicule fumant. » (Micberth-Asudam in Actual-Hebdo n° 14, mars 1973)

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