« Il y a quelques années, j’avais sur le papier jeté quelques notes sur l’affaire Barbie. Ma thèse fut impubliable. Les éditeurs sont des garnitures, rien d’autre. » Micberth parle ici de Klaus Barbie (« le boucher de Lyon ») et non de la poupée, bien sûr. Quant à son jugement sur les éditeurs parisiens, nous l’avons déjà évoqué ici, notamment à propos de son roman, dans « L’aventure du Chauvache ». Là il s’agit d’un texte de fond qu’il avait écrit en 1983 et soumis à près d’une cinquantaine d’éditeurs (46 exactement).

Actualité oblige, l'ouverture des archives du procès de l'homme qui fut le premier jugé en France pour crimes contre l'humanité et l'organisation d'une exposition Klaus Barbie au Mémorial de la prison de Montluc, visible jusqu'au 30 juin 2018, me remettent en mémoire ce texte de Micberth.

Parmi les 46 éditeurs contactés, seuls 26 eurent la politesse de répondre à l’auteur. Il y eut ceux qui ne se mouillèrent pas : « programme trop chargé, ce que  nous regrettons, blablabla » ou « ce sujet n’entre pas dans nos collections » (Fayard, Hachette, Minuit, Le Cerf, Téqui, Grancher, Ramsay, Belfond, Buchet-Chastel, Desclée de Brouwer, Le Seuil, etc.). Calmann-Lévy écrivit que le sujet étant trop brûlant, il était « encore trop tôt pour faire le point sur le cas Barbie ». Christian Bourgois déclara tout de go que le projet ne l’intéressait pas du tout, et André Balland se prononça « même plutôt contre ». Pierre Nora déclara que s’agissant d’un pamphlet, le genre n’avait pas place chez Gallimard. Seul Charles Ehlinger  (éd. Du Cerf) prit le soin d’écrire une lettre très argumentée en concluant : « Votre texte oblige à sortir des idées reçues et essayer de prendre une position critique personnelle » ou encore : « Il est souhaitable que des questions comme celles que vous posez viennent déranger les propos trop conditionnés dont nous allons nous abreuver à propos de Klaus Barbie ».

Micberth oublia donc son projet dont le synopsis repose à jamais (?) au fond d’un tiroir. Néanmoins, il en publia un extrait dans « La Lettre » en 1985, sous le titre : « Socialos, cocos, fachos et nazis. Même coups bas, mêmes cons bas ». Il prévient : « Je livre ici un passage, assez mal écrit, mais qui montre que la terreur bleue républicaine fut aussi odieuse et sanglante que la terreur noire des nazis. »

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Extrait de cet article paru en janvier 1985 dans le journal « La Lettre de Micberth » : 

« Nous devons intégrer l’idéologie fasciste à notre vision historico-politico-culturelle du monde des idées. Il nous faut admettre aussi et à priori que M. Barbie aurait épousé la foi national-socialiste et qu'il s'en serait fort bien porté.

« Pour lui, il accomplissait son devoir, convaincu de bien faire, de faire utile pour le triomphe de ses convictions et celles de ses amis : acteur sincère d’un idéal que défendaient bon nombre d’illustres esprits internationaux et certaines célébrités du pays occupé, sans omettre bien sûr, parmi d’autres, les membres plus obscurs mais combien actifs des fameux « groupes d’action pour la justice sociale » et du fameux Mouvement national antiterroriste (MNAT) de Francis André.

« Comment s’extraire d’un tel engouement ?

« M. Klaus Barbie savait que l’on ne fait pas d’omelettes sans casser d’oeufs. Les juristes qui avaient concocté les lois nazies connaissaient l’histoire des pays conquis et à conquérir, et, mieux qu’un Français moyen, l’histoire de France.

« Dans les bureaux de la Wilhelmstrasse – ministère des Affaires étrangères du IIIe Reich – des diplomates préparèrent les premiers textes d’occupation. Puis ce fut le tour de la Wehrmacht et des officines nazies.

« M. Barbie exerçait donc légalement sa sinistre besogne dans un pays occupé et presque soumis dont le quart de la population collaborait « légitimement ».

 Otages

« La France n’avait pas attendu l’invasion allemande pour s’illustrer dans le sordide et l’inadmissible. Sous le Directoire  par exemple, la loi des otages promulguée en juillet 1799, ordonnait aux administrateurs des départements d’emprisonner à la première menace de troubles tous les perturbateurs ainsi que leurs aïeux (père et mère) et parents jusqu’au quatrième degré inclus ! Elle permettait de les fusiller ou de les déporter en... Guyane. Elle plaçait le cinquième de la population française sous la menace du massacre ou de la mort lente.

« Odieuse mais possible sous la Convention, cette loi fut pure folie sous le gouvernement faible et discrédité du Directoire agonisant, comme le remarque judicieusement Henry d’Estre dans son excellent ouvrage consacré à Bourmont.

« En fait, cette loi du Directoire pourri, officialisait à postériori la répression, que dis-je, le génocide des Français catholiques et royalistes par les révolutionnaires. Six ans plus tard, elle inscrivait de droit dans les textes, la légalité du plus terrible massacre que des Français convaincus de leur bonne foi firent subir à bon nombre d’innocents, Français tout comme eux.

« Et comme la démocratie républicaine triompha, l’histoire ne chipota pas pour quelques centaines de milliers de martyrs, d’enfants massacrés, de femmes et de vieillards torturés.

« Il est à noter que selon la cause défendue, il y a des génocides excusables et d’autres inexpiables et monstrueux.

« La déraison des hommes pousse au comique.

Mauvaise époque

« Dans la France de 1943, les bleus de l’ordre nouveau furent en fait les nazis noirs et les chouans ou brigands, les résistants gaullo-communistes.

« Mais M. Barbie aura mal choisi son époque et son idéologie, son pays aussi. Héros assurément sous le Premier Empire, complimenté et honoré pour son habileté à exterminer du brigand, aujourd’hui, il sera conchié et criminel contre l’humanité dans son propre pays et plus encore pour les bonnes consciences du pays de ses exploits.

« On me dira : « Vous comparez l’incomparable ! » Oui et non. Oui, parce qu’historiquement la fin victorieuse justifie les moyens les plus exécrables. Non, parce que M. Barbie n’a pas exterminé les siens mais les terroristes et autres d’un pays conquis, ce qui à mes yeux est une circonstance atténuante.

« Mais les Juifs, vous oubliez les Juifs ! Les enfants juifs, les vieillards juifs, les femmes juives. »

« A cela je réponds : mais vous oubliez les catholiques, les enfants catholiques, les femmes catholiques !

« A ma connaissance, les rues de nos villages et de nos villes ne portent pas les noms des bourreaux nazis et si l’on s’apprêtait à baptiser une impasse au nom de Maurice Papon, je pense qu’on a renoncé au projet.

« Or, nous déambulons chaque jour en France dans les rues qui honorent la mémoire de centaines de Klaus Barbie et pire encore, parce que ceux-là, au nom aussi d’une idéologie mortifère qui devait, paraît-il, donner le bonheur à l’humanité, ont commandé le massacre sadique de leurs frères qui refusaient de renier leur foi.

« La liste n’est d’ailleurs pas limitative. Je me suis attaché, n’étant pas – on l’aura remarqué – historien professionnel, à montrer la répression subie par la chouannerie. J’aurais pu aussi étayer ma démonstration par des exemples choisis dans l’histoire de chaque pays et pour chaque idéologie qui prétend à une époque donnée détenir la vérité, et qui pour s’en convaincre et convaincre les autres massacre tout ce qui s’oppose ou gêne... »

  

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