L’intelligence artificielle (IA) gagne du terrain de manière inquiétante. Va-t-elle dépasser celle de l’homme comme on semble le craindre dans les « hautes sphères de l’intelligentsia » ? En matière de marketing, déjà, nous sommes ciblés et cernés et depuis longtemps.

Micberth écrit en 1982 : « Le concept de masse est bien là. Il régit tout. Nos motivations d’achat sont tellement épluchées qu’une science est née. Nous sommes répertoriés en catégories de pulsions : tant bouffent du chocolat en se tirant délicatement les poils du derrière tout en lisant Le Monde, tant d’autres se nettoient la queue avec un, deux, trois, quatre... kleenex après avoir sodomisé le loulou de la grosse dame du 3e, porte gauche. Les marchands de chocolat, de faux poils de fion, du Monde, de Kleenex, etc., doivent savoir au point près, le pourcentage d’acheteurs potentiels et par couches. »

Mais qu’en est-il de l’intelligence humaine ? « On sait, je l’ai publié cent fois, que je ne crois pas à l’évolution de l’intelligence, qu’il n’y a aucun progrès entre la pensée d’Empédocle et celle de Sartre, qu’on peut vivre une fantastique aventure émotionnelle avec Michel de Montaigne et se faire complètement chier dans son époque. J’ai bien trouvé du plaisir à lire Jaurès... D’un côté, cette formidable avancée technologique, scientifique, pratique, sociale et de l’autre cette absolue pauvreté de l’intelligence qui reste statique, qui ne répond rien sur rien, qui se borne aux spéculations, qui n’utilise que son imaginaire pour tourner en rond, désespérément. »

L'intelligence serait-elle parfois plutôt source d’inconvénients que d’avantages ?

 « L’hiver avait tout enneigé. Je me caillais le fion. Ce fut le cadre folklorique de mes premières corrections. Le monde était encore à moi, Dieu, les femmes et les ors. Tout était bien classé, bien propre dans ma tête. J’étais un génie. On me l’avait dit et répété cent fois. Je naviguais la tête haute sur un océan de nouilles à l’eau, daignant de temps à autre, par charité chrétienne, faire un petit signe de tête aux surdoués que je croisais et même aux autres, les connards.

« L’espère humaine était donc composée à mes yeux de quelques dizaines de génies, de milliers de surdoués, de centaines de milliers de grands intelligents, de millions d’intelligents, puis de la grande majorité des gens normaux, lambdas, et ça se rétrécissait ensuite, progressivement, selon la courbe de Carl Friedrich Gauss, avec les débiles légers, les débiles, les idiots, etc., pour arriver aux quelques dizaines d’arriérés profonds, frères en singularité. Salut les copains ! Malheureusement pour moi et pour mes confrères d’infortune, la vie n’était pas une échelle toute droite, mais une sorte de machin plié en deux. La première base, les premiers échelons, là où l’on se décrotte les bottes, c’était les génies dont moi, et l’on montait d’un pas résolu vers les sommets de la foultitude vide du citron ; après avoir fait son plein d’humanité, de compassion, on redescendait de l’autre côté, chez les dépourvus, en passant par les débiles, jusqu’aux arriérés profonds.

« Tout était fait pour cette multitude du sommet pourtant mise en coupe réglée : la morale, l’éducation, les médias, la politique, la grande distribution, la construction, les travaux publics, l’art, la littérature, le cinéma, la médecine, etc. La liste est longue. (...)

MGM_1956B.jpg

« Dès la petite enfance, j’avais bien ressenti cette ambiguïté au monde (instituteurs idiots, camarades demeurés, petites amies nounouilles, parents à chier, curés trécis...), mais bon bougre, je mettais ça sur le compte de mon caractère de cochon. Petit singe savant, constamment flatté par je ne sais quel travers des adultes qui consiste de tout temps à quérir les grâces des bambins, je cachais mon désespoir derrière la provocation, la vanité, l’humour, la violence et la sensualité précoce ( ...). J’étais singulier, c’est vrai, mais il aurait été plus sain pour mon équilibre de ne pas en faire des tartines. Les adultes peloteurs me trouvant beau, cela n’arrangeait rien. Le destin, qui pourvoit aux grands équilibres (à la sortie de la dernière guerre, Dieu était coco), avait eu la miséricorde de me faire naître pauvre, issu de châtelains fantasmatiques et ô bonté divine ! de m’offrir une infirmité congénitale bien chiadée et cachée : un rétrécissement aortique qui pouvait à chaque instant me faire goûter aux joies définitives de la métempsycose pour me faire renaître, par exemple, sous la forme d’un saucisson sec, ce qui n’aurait pas manqué d’humour, surtout pour les charcutières. (...)

« Jusqu’au jour où j’entendis une interview du professeur Rémy Chauvin. Je dois au lecteur d’être clair. Je n’ai aucune sympathie particulière pour ce « scientifique », spécialiste de super conneries irrationnelles, mais les propos qu’il tenait m’ont troublé. Je dois ajouter que j’ai été présenté* à Rémy Chauvin et que le bonhomme m’a déplu. Cela dit, sa théorie de l’enfant surdoué n’est pas idiote. Il a été le premier, je crois, à considérer le génie comme une tare et non comme un avantage social. Cette excroissance des facultés et de l’intelligence sont des handicaps considérables dans la vie d’un homme, tout comme la débilité profonde. Il y a souvent confusion entre la grande intelligence, qui est un vrai cadeau des dieux et le génie, qui est un fardeau. Le grand intelligent sera parfaitement socialisé, il réussira parfaitement sa vie professionnelle et souvent personnelle. Il est l’homme du positif. Le génie, qui lui est certes supérieur, sera haché, coupé de la communication, incapable d’être classé ou de se classer. Pourquoi ? Parce qu’il a le sentiment épouvantable de vivre dans un monde de débiles heureux. Tout ou presque lui est inférieur. Des exemples ? Il connaît la fin des histoires, le meilleur des films ne l’épatera pas, le meilleur des repas lui semblera fade, le défaut d’un tableau lui sautera immédiatement aux yeux. Est-il malade que son médecin lui donne le sentiment de réciter un vade-mecum de momeries. Il voit tout et cette disposition l’incline constamment à la mégalomanie. Il ne peut être que généreux, sans quoi, il ferait chier tout le monde et tout le temps. Pour être équilibrée, la vie doit être un partage, entre des qualités, des défauts, des compétences, de l’ignorance. Que peut-on lui donner, que peut-il recevoir ?

« Là commence l’instabilité sociale, affective, sexuelle. Il est à lui tout seul le supermarché des échecs. Rémy Chauvin affirme que le surdoué échoue presque toujours sa vie. C’est vrai. Il ajoute que c’est un vrai gâchis pour la société et l’histoire des civilisations. Peut-être... Il propose des écoles, un environnement psychologique et un suivi qui serait celui des handicapés.

« Je crois sincèrement et pour cause que Rémy Chauvin fait des confusions. Je m’explique. Tout le monde parle du yéti, très bien, chacun ses thèses, ses convictions, voire ses fantasmes, mais il serait mieux que l’ethnologue pût démontrer la réalité de l’existence de l’humanoïde avant que de faire connaître au monde entier et en fanfare ses convictions, aussi sincères puissent-elles être.

« Rémy Chauvin mélange génie, surdoué et grande intelligence. Il ajoute donc à la confusion. Le génie sait, il est souvent un prodigieux créateur, presque toujours incompris, méconnu, il est mal dans sa peau. Le surdoué possède des capacités hors du commun dans tel ou tel domaine. Il est inexploité en règle générale. La société lui fait perdre son temps. Le grand intelligent, je l’ai dit plus haut, est brillant, réussit sa vie : c’est l’homme des meilleurs solutions dans un temps imparti. Mais voilà où le bât  blesse. La classification n’est qu’une piste et les frontières sont moins marquées. Pour un génie, le surdoué est un con. Pour le surdoué, le grand intelligent est un âne. Pour le grand intelligent qui ne souffre pas des inférieurs, l’autre sera regardé avec un regard humaniste. »

(Micberth, texte inédit, 1995)

 * Rémy Chauvin participa à l’enregistrement du premier numéro de Nouvelle Élite Vidéomagazine en 1981.