« Dès la fin des années 50 apparaissent les premiers mouvements annonciateurs de la grande cassure, politique cette fois, de 68. Micberth, le mouvement beat, le Living Theatre avaient esquissé les premières épures sur lesquelles les étudiants et les ouvriers accompliront plus tard leur œuvre », écrit Olivier Meuwly (« Anarchisme et modernité », éd. L’Age d’Homme).

Cette cassure, Micberth l’a pressentie bien avant l’éclosion de Mai 68, en effet. Trente ans plus tard, il écrira : « Depuis 1965, il y avait une réelle rébellion qui se fomentait. Et comme quelques observateurs minoritaires l’ont parfois décrite, elle trouvait son ferment dans toutes, je dis bien toutes, les couches idéologiques de la jeune société française. » Le 31 janvier 1968, il a adressé une lettre à Georges Pompidou, alors Premier ministre, « pour l’avertir de ce qui crevait les yeux mais ne l’avait même pas éborgné, à savoir que les jeunes en avaient assez du peu de débouchés et du chômage, que les étudiants ne tarderaient pas à se révolter contre la sélection universitaire, que les intellectuels souhaitaient une aide plus efficace pour une meilleure création » et l’informer d’une rébellion imminente.

Au cours de l’année 1967, Micberth est devenu « homme de spectacle ». Il met en scène avec ses collaborateurs les dégagements autobusiaques qui ont pour maîtres-mots dérision et démystification et qui ouvriront la voie au café-théâtre, au Splendid et au Café de la Gare. Le calendrier des activités artistiques et culturelles de la ville de Tours, saison 1967-1968, annonce les spectacles de la Jeune Force poétique française qui commencent le 9 novembre 1967 au Caveau, avec « Pleins feux sur... Alain Camille (futur A.D.G.) : poésie expérimentale ». D’autres spectacles sont prévus avec Gérard Lecha, Yves Boulay, Maguy Vautier, etc.,  jusqu’en juin 1968. Dans son édition du 5 mars 1968, le quotidien La Nouvelle République signale l’annulation (pour raison de santé) d’une conférence de Micberth sur le thème « 20 siècles de poésie autobusiaque » où ce dernier « devait annoncer la création d’un nouvel organisme, qui dans l’esprit de la JFPF et malgré qu’il en soit indépendant, oriente les forces des jeunes hommes vers une activité militante : Révolution 70 ». Depuis la création de la JFPF, en 1963, Micberth a côtoyé de nombreux jeunes et leur a proposé une véritable révolution des mœurs, de la pensée sociale, de la morale et de la politique. Il veut aller plus loin dans son entreprise de « déconditionnement » de la société.

Il écrit dans « Pardon de ne pas être mort... » : « Nous militions bien avant Mai 68, mes amis et moi, pour une révolution des consciences, et nous accueillîmes les journées des barricades avec une très grande satisfaction. Nous espérions cet effort extraordinaire de la jeunesse contre la bêtise et les principes poussiéreux. Immédiatement, nous fîmes paraître un journal titré Révolution 70, encourageant la libération des individus. »

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Alain Camille (A.D.G.) témoigne : « Jusqu’au 6 mai, nous ne fûmes guère touchés par les événements parisiens. La radio parlait, parlait et je me souviens juste d’avoir lancé à Gilles (Cormery) : « Pourvu que ça continue, c’est bien rigolo. » Le lendemain du 10 mai, après les affrontements sur le boulevard Saint-Michel et rue Gay-Lussac, Micberth donne les consignes : « Prendre contact avec les dirigeants tourangeaux de l’UNEF et leur transmettre notre soutien ». Un communiqué de presse est rédigé avec diverses propositions faites au Comité de grève mené par Georges Gutman. Refus narquois des étudiants maoïstes et de leur chef de file : « Pour eux, écrit A.D.G., la révolution est étudiante et doit le rester. Pas de gêneurs, pas d’étrangers dans leur cuisine. » Les collaborateurs de Micberth sont à leurs yeux des « fascistes »...

Micberth lance donc le premier numéro de Révolution 70 le 12 mai 1968 (L’apolitisme pour la révolution des consciences), tiré à 2 500 exemplaires. A.D.G., qui en est le rédacteur en chef, raconte : « Je crois bien qu’on l’a sorti ce numéro vers le jeudi ou le vendredi. Avec une nuit extraordinaire de tirage, où à chaque feuille sortant de la machine, nous sortions composer un journal mural dans la rue. Splendides et formidables instants. Les CRS avaient encore une fois chargé avec sévérité. Il faisait bon. Les gens étaient aux fenêtres. La nuit à nous, pleine de promesses, chargée de je ne sais quelles senteurs de poudre et d’encre, de fleurs et de liberté. Qu’il faisait bon vivre, à se barbouiller de la grosse colle grumeleuse qui attachait les doigts... »

A la une, sous le chapeau intitulé « Oui aux étudiants ! Non à Gutman et ses complices ! », les propositions de Micberth réfutées par le Comité de grève de Tours, à savoir : « 1. Coordination apolitique des différents groupes revendicateurs dans le dessein d’une meilleure organisation pour la lutte contre la répression policière. 2. Proposition d’amnistie sans condition de tous les étudiants incarcérés à la suite des dernières manifestations. 3. Création en terrain neutre d’un groupe d’action révolutionnaire. 4. Impression et diffusion de tracts de propagande et de ralliement. 5. Édition de bons de souscription pour réunir les fonds nécessaires à toute organisation structurée. 6. Mise à la disposition des revendicateurs de Tours de nos 35 000 contacts répartis sur 35 pays. »

Il ajoute : « ... Il y a autre chose que la politique et ses damnées statistiques, il y a l’homme, l’homme et sa conscience. Assez de littérature politique et révolutionnaire. Assez de philosophie à la petite semaine, assez de refoulés, de bande-mou, de pisse-jaune et d’attrape-mauvais. Nous voulons une société d’amour, une société de raison. (...) Jusqu’ici, nous étions contre la brutalité, contre la répression de tout poil. Mais nous devons agir. Combien il est désagréable de voir ces merdeux se tutoyer en lançant des camarades gros comme le Kremlin. Combien il serait plus souhaitable que chacun de vous retrouve en lui l’enthousiasme fort et généreux inhérent à toute revendication populaire. Les étudiants de Paris, derrière leurs barricades, n’étaient pas organisés. Pourtant l’immense élan de solidarité a fait d’eux à plusieurs reprises des héros. Petits bras, petits muscles, mais grand désir de vaincre. Bravo aux hommes des barricades. Bravo à l’abcès percé, si le pus qui s’en écoule ne contamine pas d’autres parties. »

Le journal contient « d’autres articles encore, enthousiastes, forts et généreux, des dessins corrosifs, des insolences splendides ».. Sa distribution en direct à Tours est « agitée » et donne lieu à quelques difficultés.

Pour le n° 2, A.D.G raconte : « Le dimanche 19 mai, c’est à nouveau le branle-bas de combat au 24 bis de la rue Roger Salengro (siège de la J.F.P.F.). Toute la maison frappe à la machine, écrit à la hâte les derniers papiers, compose, met en page. (...) A Paris, ville des Songes et des Singes, le folk-lore rouge battait son plein, à la Sorbonne et à l’Odéon (pris, paraît-il par le clown Lebel). Le bourgeois palissait et salissait son slip. Nos distributions étaient toujours un peu agitées mais sans incidents notables. »

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Et puis, le 26 mai, paraît Révolution 70 n° 3 qui titre : « Soutien total et inconditionnel du Mouvement du 22 Mars et du C.A.R. de l’ex-Odéon à notre lutte ».C’est que, comme l’expliquera Micberth : « Bien que de droite, je fus curieusement investi par le Mouvement du 22 Mars et le Comité révolutionnaire de l’ex-Odéon occupé, pour diriger l’action révolutionnaire dans le centre et l’ouest de notre pays. » Ainsi, il appelle étudiants et travailleurs à venir rejoindre son mouvement dont « l’attitude ouverte passée, ainsi que les motivations profondes » sont approuvées par le délégué du Mouvement du 22 Mars et du C.A.R. de l’ex-Odéon qui déclare : « Ainsi Révolution 70 s’est-elle trouvée être le fer de lance de l’activité et de la mentalité révolutionnaire, alors que, derrière, un certain nombre d’étudiants des comités d’occupation paraissait en constituer l’élément conservateur. »

Dans ce même numéro, Micberth s’interroge néanmoins sur le sens des revendications qui deviennent subversion, les confusions faites entre « flics » et nazis, les liens avec Mao... Il écrit :

« J’affirme que je suis fier d’être français, mais que je commence à pâlir.

« J’affirme que Mitterrand est un intrigant narcissique et que son auréole ne résisterait pas à une psychanalyse honnête.

« (...) J’affirme que Marx est un homme du XIXe siècle et que ses manifestes sont inadaptables aux besoins de notre société actuelle.

« J’affirme que le conditionnement matérialiste est plus dangereux que les idéologies capitalistes car il interdit le choix.

« J’affirme que les dirigeants de l’UNEF et du SNESUP se meuvent dans un climat morbide et sont atteints par le mal qui détermine malheureusement leur prise de position.

« J’affirme que le gouvernement du général de Gaulle est intellectuellement prêt à assumer ses responsabilités et que de ce fait, tous les dialogues et restructurations sont possibles avant la révolution des consciences.

« J’affirme qu’au sein de la Sorbonne, des prochinois et assimilés fomentent la subversion armée et que leurs motivations procèdent de désirs exclusivement concentriques… »

 

L’investiture sera de courte durée. « Inutile de préciser que cette investiture, je ne l’acceptai qu’une semaine, le temps de prouver à mes détracteurs, qui me qualifiaient de fasciste, la fantaisie de leur affirmation », explique Micberth : « Quand Cohn-Bendit et ses séides de l’ex-Odéon occupé « m’envoyèrent » deux missi dominici pour m’investir comme chef de la rébellion du Centre-Ouest, nous ne pûmes réprimer, mes collaborateurs et moi-même, un immense éclat de rire. Le trublion de l’IDHEC, camarade révolutionnaire, était flanqué d’une pétasse théâtreuse dont les seins et l’âme n’avaient plus d’âge. Ils passèrent d’ailleurs la plus grande partie de leur temps à forniquer dans ma cave. De temps à autre, ils montaient aux étages pour se restaurer, jamais pour se laver. Coiffé d’une gapette militaire et cubaine, le jeune garçon, avec une logorrhée pompée dans « La Guerre de guérilla » du Che, tentait de nous convaincre de placer des sacs de sable derrière nos fenêtres et nos portes, pendant que la théâtreuse soupesait, d’un oeil expert, la virilité de mes jeunes amis en proposant d’enseigner la libération des moeurs avec travaux pratiques à la clé. Ces deux zozos réussirent sans trop de mal à nous dégoûter à tout jamais de leur idéologie et à raffermir notre fidélité à l’ordre gaullien. » (Micberth, « Juste en passant » in Histoire locale, 1998)

Enfin, « La politisation nationale de l’effort grand et généreux de la jeunesse nous contraignit bientôt à quitter les rangs des révolutionnaires pour rejoindre le général de Gaulle. Nous méprisions l’UDR, qui nous le rendait bien, mais nous avions toujours apprécié le général de Gaulle, dans ce qu’il avait de fracassant, de courageux, d’intègre. »

Dans le n° 4 de Révolution 70, Micberth écrit : « Français, mes frères, vous vivez les vomissements agnostiques des particules reflets d’humain. Ne vous laissez plus enculer par des poulitichiens galeux, vrombisseurs honnis. Informez-vous travailleurs, ceux qui profitent de vos revendications légitimes pour leurs ambitions politiques personnelles ne doivent plus vous représenter. Serrons-nous autour du symbole de Gaulle. Aidons ce vieillard superbe à redresser, une fois encore, une France en danger. Pissez du coco, chiez du fafa, arrosez vos fleurs d’amour et d’espérance... »


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Quelques années plus tard, Micberth expliquera : « En 1968 j’ai vécu une révolte saine de la jeunesse, la révolte du ras-le-bol, du ça-commence-à-bien-faire. Tous les jeunes tiraient les pavés, qu’ils soient de droite ou de gauche. Et puis j’ai vu la politique rappliquer avec ses gros sabots merdeux, les syndicats, les partis. Et tout le monde a chié dans son froc. De Gaulle a claqué des doigts, et en cela je l’approuve, et tout le monde il est retourné à son métro-dodo-boulot, sagement. Quelques folkloriques ont persiflé en flirtaillant avec la pègre. Ils furent décimés, ce qui est bien fait pour eux, na ! Les autres, la grande cohorte des jeunes cons, ceux qui remplaceront les vieux cons dans quelques années, ont porté le képi, la robe du magistrat, la carte tricolore du commissaire de police. Récupérés, comme on dit. Les purs – une poignée –, ont été inculpés, jetés en prison, ou empêchés d’exister convenablement. J’en fais partie. Quelques centaines au plus. » (Micberth in Actual-Hebdo n° 17 du 7 avril 1973)

Sources : Micberth in Révolution 70 (1968), Actual-Hebdo (1973), Histoire locale (1998), « Pardon de ne pas être mort le 15 août 1974 » (1977).

A.D.G., « Mai 1968 » (Inédit, s.d.).

Gérard Lecha, « Micberth et le théâtre en question avec les dégagements autobusiaques », mémoire de maîtrise soutenu en 1972 publié en 1992.