Dans son essai sur l'anti-intellectualisme en France, notamment depuis deux siècles, Sarah Al-Matary cite Micberth qu'elle range avec Pol Vandromme au rayon des antidémocrates, tous deux ayant rouvert le « procès des droits de l'homme » après la ratification de la Convention européenne par notre pays en 1974. A propos de Micberth, elle écrit : « Psychologue, journaliste, poète et éditeur, qui eut quelques démêlés avec la justice (1), (Micberth) nie l'égalité des intelligences et considère que « Si la technologie a connu un essor prodigieux, l'intelligence a stagné. Quelle distance sépare Sartre de Platon ? Infime, pour ne pas dire inexistante ».

La haine des intellectuels n'est certes pas un sujet nouveau et Mme Al-Matary a bien du mérite de proposer une somme d'environ 400 pages sur cet épineux sujet. François Richard y avait consacré un chapitre dans son Que sais-je ? sur les anarchistes de droite paru en 1991. Sa démonstration repose sur trois points : 1. Les « intellectuels » ont le mal du réel ; 2. L'illusion progressiste ; 3. De la perversion au terrorisme idéologique. Pour F. Richard, tous les auteurs qu'il classe sous la bannière anarchistes de droite « stigmatisent l'enfermement de certains penseurs dans le monde des idées, dénoncent un entêtement spécifique doublé d'impuissance, critiquent un agenouillement (jugé évident) devant l'esprit du temps et soulignent surtout un divorce entre la pensée et la réalité... » Si Anouilh remarque que « le fleuve de salive des intellectuels n'a jamais modifié aucun fait », Bernanos, lui, déclare que « l'intellectuel est si souvent un imbécile que nous devrions toujours le tenir pour tel jusqu'à ce qu'il nous ait prouvé le contraire ». Quant à Céline, il estime que l'intellectuel est « futile ».

Le mal du réel

L'hostilité anarcho-droitiste à l'endroit des intellectuels « vise tout ce qui est d'obédience strictement théorique, tous ceux qui font passer leur goût de l'hypothèse et de la métaphore avant le sens de l'expérimentation et les dures leçons des faits. » Toute attitude idéologique leur paraît haïssable. Ainsi Micberth confirme : « Je regarde les faits en tant que tels, sans modifier avec passion les règles du jeu. Je considère cela comme de l'hygiène mentale et de la simple honnêteté. » La réalité ne peut être indéfiniment interprétée et toutes les idées ne se valent pas.

« Il n'y a pas d'idées généreuses, écrit Jacques Perret, elles sont bonnes ou mauvaises, c'est tout. » Et il est souvent fort simple de recenser toutes les contradictions rencontrées chez les intellectuels contemporains. Jacques Laurent, par exemple, évoque Sartre en ces termes : « Sous un maquillage marxiste, Sartre restait le chantre de lui-même ; témoignant d'une négligence souveraine pour les réalités économiques et les circonstances historiques, il satisfaisait simplement un besoin barrésien de prouver aux autres sa virilité en s'adonnant aux prestigieuses fureurs de la praxis. » Quant à Micberth il voit les antifascistes d'alors plutôt comme des apprentis sorciers que comme des sauveurs de la démocratie. Il écrit : « L'Histoire le hurle, c'est toujours le juifaillon qui engendre le nazillon. A force de crier : au loup ! dans le bocage sécurisant de nos démocraties popotes, un jour le loup sortira vraiment de sa tanière. Les idéologues hébreux qui se prennent volontiers pour Cassandre, à force de prophéties noires et mortifères, excitent et exacerbent les bas instincts de la lie en mal d'exactions et réveillent la fureur sauvage des benêts qui n'attendent que cette occasion pour s'attifer de chemises brunes et imposer à coups de gueule et de poings leur terreur de brutes aveugles et cruelles. »

Tous les intellectuels, tous les écrivains, philosophes, journalistes, militants (généralement « de gauche »), qui se sont intégrés à un système social et politique qu'ils combattaient auparavant, qui ont fait carrière et sont devenus les rouages de la société de consommation qu'ils prétendaient détruire, « sont surtout des gens qui ont passé leur temps à tromper et à se tromper ». Férus d'utopie, ils ont dressé un catalogue de principes défaitistes, d'idéaux politico-philosophiques dévoyés. « Que nous montre-t-on ? écrit Micberth. Des dogmes et des manifestes irréalistes, basés sur des valeurs poussiéreuses, violentes et sans espoir. Une politique bouffonne, une sciencette qui tue sous prétexte de soigner, une information tronquée et truquée, des loisirs imposés et ternes... »

L'illusion progressiste

Force est de constater que le progrès intellectuel et moral est inexistant et qu’en dépit de progrès techniques appréciables, « l’Occident vit une ère de décadence évidente, dissimulée aux regards des naïfs par des déclarations fracassantes », selon F. Richard. Aucune évolution positive n’est envisageable dans un monde absorbé par sa civilisation technique, déserté par la spiritualité et centré sur des impératifs politiques aberrants.

Micberth résume ainsi notre monde : « Un peuple libre et cossu, sans idéal, sans grande aspiration, est un peuple décadent, donc moribond. De tristes philosophes ont pénétré sur le terrain du combat des idées, en plantant la bannière du bien-être, du bien-jouir. Spontanément, les combattants qui n'étaient que des hommes ont déserté leur idéal pour se vautrer aux pieds des tribuns de la facilité. » Et il ajoute : « Si la technologie a connu un essor prodigieux, l'intelligence a stagné. Quelle distance sépare Sartre de Platon ? Infime pour ne pas dire inexistante. » (…) « Fourier, Marx et Freud n’ont pas fait leurs preuves. Le temps caricature leurs œuvres et ridiculise leurs idées. »

Les intellectuels cultivent des utopies, comme la croyance en une bonté originelle de l’homme, « Toute l’ignoble imposture de Jean-Jacques : l’Homme est bon », dont s’indignait Céline. « L’homme ne peut prendre une dimension morale, vraiment humaine, écrit François Richard, que s’il domine et sublime son animalité et s’il ne se soumet jamais au consensus général et à la médiocrité. » Les intellectuels sont souvent irréalistes et loin d’être exemplaires, ils proposent des conceptions politico-philosophiques aberrées dans leurs écrits relayés par la presse, exerçant une influence funeste sur l'opinion publique.

Le terrorisme idéologique

Plutôt qu’aider l’homme à s’améliorer, les intellectuels vont dans le sens de ses faiblesses et popularisent un goût pour l’abstraction et l’irréalité. Bloy écrit : « Ce n’est pas d’hier qu’on abuse de la parole ou de l’écriture pour l’extermination de la pensée. » Quant à Nimier, il dénonce « le flou, le mou, le ténébreux, le narcissisme, les infinis faciles ».

Les intellectuels ne remplissent pas leur rôle de guides ou de maîtres à penser et vont même jusqu’à pourrir « les fondements naturels et culturels de la société. Pour Drumont, Zola est « un pornographe de profession », pour Céline, Sartre apparaît comme « un foutu donneur, une bourrique à lunettes, une ventouse baveuse… »

Quant à « l’éblouissant Jean Daniel » (fondateur du Nouvel Observateur en 1964), Micberth le présente ainsi dans La Lettre : « Faux bonhomme, faux libéré, faux talent, faux semblant, faux socialiste, faux journaliste, faux penseur, fausse audience, faux-fuyant, mais vraie vraie salope. Depuis vingt ans, lui et son équipe du Nouvel Obs sont passés à côté de l'authentique, du singulier, de l'essentiel, de l'important pour ne privilégier, avec une opiniâtreté qui force la considération des ânes, que le dérisoire des sciences humaines et son cortège d'idoles de pacotille. »

Le progressisme est devenu, selon Pol Vandromme, « le refuge du conformisme totalitaire ». Et le silence de « l'idéologie dominante » sur la dissidence se double d'une absence d'autocritique préjudiciable pour tous, car « en omettant de prendre en compte les épiphénomènes les plus cruels de son Histoire, remarque Micberth, en utilisant négativement ses forces politiques comme tristes exutoires occasionnels, (la démocratie) perpétue la barbarie et freine l'évolution intelligente des hommes ».

Les intellectuels ont sans doute intérêt à entretenir le feu sacré de l'humanitarisme militant, un régime moins complaisant risquant de compromettre leur carriérisme. « Quand on est un petit mec de la littérature, écrit Micberth (à propos d'un auteur germanopratin bien connu), un failli, un réputé plagiaire, et un pou satisfait des idées ; quand on se sait évanescent zigomar et que l'on veut en serrant ses petits poings volontaires faire grande œuvre utile, on s'accroche désespérément à la sacro-sainte démocratie républicaine. »

Tandis que Pol Vandromme rejette « le monde moderne, l'État qui se liquéfie comme une outre crevée sur le carreau des Halles... Ce goût de tromper, d'avilir, de tout uniformiser, de fabriquer des robots, d'assimiler le confort à la civilisation... », Micberth quant à lui, dénonce les pièges de l'autoritarisme, de gauche, comme de droite : « Napoléon, Hitler, Staline, Mao dorment suavement dans le cœur de millions de petits d'homme et plus on fera étinceler les horreurs, plus on avancera l'échéance du nouveau chaos ».

Et si l'on en croit Jean Anouilh : « Nous sommes dans un monde absurde où la vérité coûte cher ». CQFD.


(1) Mme Al-Matary fait alllusion à l'affaire des chèques Pompidou. Lire ou relire ici l'article qui la relate.

Sources :

Sarah Al-Matary, « La haine des clercs. L'anti-intellectualisme en France », éd. Seuil, 2019.

François Richard, « Les anarchistes de droite », Que sais-je ?, PUF, 1991 et 1997.

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