Alain Krivine, « figure de l'extrême gauche et ancien candidat à la présidentielle » (sic Europe 1), vient de mourir à l'âge de 80 ans. Le fondateur de la Ligue communiste révolutionnaire fut, certes, une figure marquante pour nous autres, militants « de droite ». Mais il fut toujours épargné par le méchant esprit de Micberth, en raison de leur aventure commune à la présidentielle de 1969. Ils ont respectivement 28 et 24 ans, l’envie de créer un autre monde, fondé pour le premier (Krivine) sur la justice sociale et pour le second (Micberth) sur la révolution des consciences. Krivine pourra aller jusqu'au bout et se présenter à l'élection avec l'appui de ses 100 parrainages. Quant à Micberth (jugé trop dangereux), sa candidature sera refusée après les pressions exercées sur certains de ses supports « invités » à se désister. Notons pour l’anecdote (malgré tout), qu’après cette aventure, Micberth baptisera son mouton « Ducatel » et sa petite chèvre blanche « Krivine »…

(Pour en savoir plus sur la candidature de Micberth à la présidentielle de 1969, je vous renvoie à l’article publié le 18 décembre 2016 sur Regards.)

Le hasard étant facétieux, je viens de me plonger dans le Journal inédit de Micberth pour l'année 1976 (hélas non terminé).  A la date du 8 mars, il écrit :

« Il y a quelques mois, le Quotidien de Paris, dans son n°488, publiait un de mes articles sous le titre : « Vers une nouvelle droite ». En relisant ces lignes, j'admets qu'une telle profession de foi ait pu indisposer les conformistes de tout poil, les alambiqueurs de pensées liquoreuses. Pour M. Krivine, M. Mitterrand reste et restera un homme de droite. Alors, comment s'y retrouver, si chacun pousse toujours dans le même sens ?

« On nous veut « anarchistes de droite ». Pourquoi pas. Mais cette expression a-t-elle un sens ? Lequel ? (NDLR. François Richard n'avait pas encore publié son Que sais-je ?sur le sujet.)

« Je hais l'ordre, l'armée, la justice, la police, les dogmes et religions, la république scélérate, la démocratie butorde, l'hypocrite munificence de l'État souverain, l'exploitation de l'homme par l'homme, etc. Mais je reste sourd aux séductions du matérialisme dialectique.

« L'évolution heureuse de la société ne peut et ne doit pas passer par l'expansion industrielle : ça, où l'État remplace le patron, ça, où la médiocrité – moyenne de l'intérêt de chacun – devient le remède exemplaire.

« Je noie dans un même mépris l'exploiteur et l'exploité, le patron vachard et l'ouvrier servile. Je conjecture dans les démocraties populaires les succédanés de ces impérialismes de la force reine, de ces autoritarismes morbides qui ont empuanti pendant des siècles la conscience de l'homme.

« La mégalomanie pousse sur le fumier de la lâcheté.

« Rousseau – si ma mémoire est bonne – avait bien dit que ce sont les esclaves qui font les maîtres. Quand le fouet reste vacant, il y a toujours une canaille qui s'en saisit et profite des reptations de ses semblables pour les dominer et profiter du fruit de leurs efforts. Le moins con aime tanner le cuir de ceux qui se soumettent volontiers et jouissent en geignant sous les coups de l'opportuniste. Ensuite, le moins con assoit son autorité et renforce sa suprématie en promulguant des lois adéquates, et en instaurant un système de valeurs bien chiant, des interdits moraux qui inhibent et rendent impuissante la valetaille décervelée. Le tour est joué. La décadence et le laxisme du moins con, perverti par le pouvoir, par la sinécure, le contraignent progressivement à lâcher du lest ; avec, bien sûr, la complicité des syndicats « responsables » – qui veulent le bonheur de l'esclave sans casser son outil de production – et nous voilà en plein républicanisme bourgeois, en pleine démocratie indirecte, en pleine saleté nauséabonde.

« Pendant ce temps, les cochons s'engraissent sur le dos du gueux, avec la complicité des masses laborieuses. Car enfin, sans passer par une sanglante révolution, il reste possible de modifier dans le calme et la joie le système pourri qui nous étouffe ; possible de le faire voler en éclats !

« L'homme a besoin de très peu pour vivre, surtout dans le monde occidental où chacun s'est gavé depuis trente ans avec toutes les nourritures terrestres. Nos panses sont pleines. Cessons donc de travailler, de payer des impôts, de respecter les lois accessoires et unilatérales, et du coup tout s'écroule. En quelques mois. En quelques semaines…

« La terre française est assez vaste et féconde pour nous faire tous bouffer très largement ; le reste, dans un premier temps, paraît superflu. Désobéir enfin ! Ah ! Désobéir ! Globalement. Ne plus rien accepter.

« Que feront les petits maîtres, seuls sur des estrades désertées par leurs courtisans ? Qui, alors, pourra être élevé sur le pavois du pouvoir et par qui, lorsque chaque Français, enfin, exécrera la soumission des porteurs ?

« Tout commence... »

Krivine_7_mai_1969.jpg