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Un de nos lecteurs vient d’acquérir un exemplaire de « Révolution droitiste » dédicacé à Jean Boizeau par Micberth. Si ce dernier a toujours gardé une certaine tendresse pour le directeur de « Minute » qui lui avait confié en février 1974 une chronique polémique (« La moutarde au nez » publiée sous le nom d’Eric Asudam) dans son journal, il dut subir pressions et attaques à l’intérieur et à l’extérieur de l’hebdomadaire qui vivait alors sa « grande époque ». Faisant fi de son grand talent de polémiste, on lui reprochait de travailler pour un journal classé à l’extrême droite. Il s’en est expliqué dans un article inédit figurant à la fin de l’ouvrage « Les Vociférations d’un ange bariolé » (à paraître), qui réunit entre autres ses articles parus dans « Actual-Hebdo » et « Minute » au cours des années 1970. Le texte qui suit est un extrait de cet article.

 

Un journal de combat

 « Alors ça y est. Le tollé général. Les lazzi. Les crachats à travers la gueule. La presse parallèle se déchaîne. « On vous l’avait bien dit. Asudam n’est qu’un facho. Il bosse à « Minute », dans ce journal merdeux, conservateur, nazi. »

Il est amusant, d’ailleurs, de constater que c’est depuis la cessation de mon journal qu’on me traîne de cette façon dans la merde. Ne pouvant pas répondre, n’ayant aucun support à ma disposition, je suis donc acculé dans le coin du ring, avec des gros paquets qui m’arrivent dans le buffet. Même mon ami Yaset qui me pisse sur la tête ! Gentiment, mais il me pisse quand même dessus.

D’abord, pour moi « Minute » n’est pas le journal répugnant que l’on veut bien dire. C’est un journal de combat, et le lecteur est parfois surpris de constater les convergences de vues et d’opinions qu’il y a entre l’hebdomadaire de Devay et le canard de Cavanna. A cet égard, – comme dit notre président de la République –, un universitaire s’était, il y a quelques années, proposé de rédiger une analyse comparée de ces deux organes de presse. Même virulence, même combat, exceptés certains points de détail concernant des idéologies, de part de d’autres, ringardes et désuètes.

Je pensais aussi, et à tort, que « Minute » devait se lire comme on lit un journal humoristique. La deuxième dimension de l’écriture. Enfin, – et tenez-vous bien les petits gauchos – d’illustres prédécesseurs m’avaient devancé dans ce journal : Gébé, directeur d’« Hara-Kiri » mensuel, travaillait à « Minute », Topor, un des premiers piliers de l’esprit bête et méchant, travaillait à « Minute ». Et cela, mes agneaux, en pleine période algérienne. Et tout n’a pas été dit. Un jour on saura – là, j’invente, mais sait-on jamais ! – que Cavanna était le nègre à Jean-François Devay et, pourquoi pas, un des trésoriers de l’O.A.S. C’est un régal de feuilleter les archives du journal « Minute » ! Pendant trois mois, j’ai fait cela consciencieusement, et je vous assure que je suis pleinement édifié.

C’est vrai, j’avais un mal fou à encaisser toutes ces saloperies. Je tournais du nez devant ces brouets de la basse cuisine parisienne. Et je pensais à ces centaines de milliers de petits cons, agglutinés autour de ces idoles en carton-pâte, qui exploitent leur crédulité pour mieux bâfrer, avec dans la conscience un je ne sais quoi de rationelo-gaucho-anarchiste qui donne la tranquillité d’âme, et justifie le plus abject de ses actes.

C’est marrant, les purs et durs. Je n’ai jamais retrouvé dans aucune des lignes ou des dessins de l’équipe « Hara-Kiri », la moindre trace de leur appartenance à « Minute ». Pour paraphraser De Gaulle, je dirai : On a été à « Minute », on est à « Minute » ou on sera à « Minute ».

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Tout ça est bien beau, mais n’explique pas pourquoi j’ai consenti à m’asseoir derrière un bureau de l’avenue Marceau. 

Un peu d’histoire. La grande presse a bien voulu, depuis quelques années, voir en moi  un nouveau grand pamphlétaire. C’était beaucoup d’honneur, concrétisé brillamment par cette anthologie du pamphlet parue au milieu de l’année dernière. Lorsqu’« Actual » cessa de paraître, je restai vacant, et Jean Boizeau, directeur de « Minute », me convoqua pour me proposer une collaboration en quatre points :

1- La direction épisodique du « Crapouillot », ce que je refusai, pensant à juste titre que l’unité de ce journal devait être assurée par la personnalité de Michel Eberhardt ; d’autant que j’appris plus tard que cette proposition avait, en fait, pour but de contraindre Michel Eberhardt à aller exercer ses talents sous d’autres cieux – poste qui fut attribué, sous une autre appellation, au gélatineux et inconnu Marc Heimer, issu de « L’Express » où ses idées fascisantes n’étaient guère appréciées.

2- La responsabilité d’une chronique polémique hebdomadaire, puis mensuelle, sur les grands problèmes de notre temps. Jean Boizeau me précisa que je serais libre de tout écrire, et qu’en aucun cas personne ne me caviarderait. Cette promesse ne fut pas respectée, et je dirai même que le rédacteur en chef Bousson, surnommé « gratte-couilles » par le personnel, s’offrit sur mes textes des compensations à sa triste médiocrité.

3- Un travail de grand reporter, qui devait m’envoyer, dans un premier temps, en URSS (contrat signé) puis aux quatre coins du monde, là où l’opportunité de l’actualité l’eût imposé.

4- La participation hebdomadaire au conseil de rédaction du mardi.

Je pris donc mes fonctions, sous contrat, au mois de février, et fis paraître dans « Minute » quatre chroniques, dont une sur les ovni qui me valut les honneurs haineux de Claude Villers et de Jean-Claude Bourret sur les antennes de France Inter.

 Puis, Pompidou calencha, alors que je préparais mon voyage pour l’URSS, une enquête sur la drogue et un reportage sur le docteur Solomidès. Et « Minute » joua à fond, pendant deux semaines, la carte Royer. J’avais eu une conversation avec Jean Boizeau, qui m’avait donné des orientations politiques précises. Et, quelques jours plus tard, en arrivant au journal, je trouvai le panégyrique sur Royer imprimé, alors que dans ma sacoche se trouvait un article qui démolissait la gueule au fol de Tours.

La période présidentielle me confirma que je m’étais fait enviander, depuis le départ, par l’équipe de « Minute ». Et je pris conscience enfin de la connerie ambiante. Sous le prétexte d’évolution, ces gens n’étaient que des opportunistes et des marchands de papier. Je désertai le conseil de rédaction et ne produisis plus que le minimum pour le respect du contrat qui me liait au journal.

Après avoir essuyé quelques brimades, vexations en tous genres et petits coups en dessous, je remis ma démission à Jean Boizeau qui crut subtil de la refuser pour me flanquer dehors une semaine après. » (Micberth, extrait de « Lettre ouverte à tous ceux qui se posent bien gentiment des questions sur mézigue », 1974)