Lorsque la première chaîne de télévision allemande nous sollicite par lettre en décembre 1981 pour participer à une émission sur le thème : « L’opposition nationale en France après l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand et l’installation de la coalition socialo-communiste », c’est avec plaisir que nous répondons à l’invitation. L’émission doit être réalisée par Marline Krebs, le Dr Patrick Moreau étant habilité à « prendre les contacts nécessaires à la préparation des interviews et du synopsis de cette émission ». Alors chargée du service de presse de la Nouvelle Droite française, je prends donc contact avec herr doktor pour organiser le tournage en mars 1982 avec M.-G. Micberth, directeur du bureau politique. La conversation avec Patrick Moreau me laisse un malaise et m’inquiète beaucoup. Renseignements généraux ? Ecoutes téléphoniques ? Nous sommes rôdés aux méthodes... Pourtant, le garçon connaît Micberth par coeur : sa vie dans les moindres détails (même très personnels), ses derniers faits et gestes, l’identité de tous ses proches, ses amis et ses collaborateurs. Il est alors titulaire d’un doctorat de philosophie et d’histoire délivré par la Sorbonne (d’où le titre Dr) et fréquente Sciences Po.

Dans sa lettre, la télévision berlinoise précise : « Cette émission, composée d’interviews des responsables ou animateurs des forces parlementaires (partis, groupes et mouvements disposant ou non d’élus à la Chambre) et extra-parlementaires (groupes à vocation culturelle, sociale ou spirituelle et associations d’anciens combattants), portera plus spécifiquement sur la question du « communisme » en France (idéologie et activités nationales et internationales) et sur les perspectives d’actions politiques de l’opposition nationale. »


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Lorsque l’équipe débarque pour le tournage, l’ambiance n’est pas vraiment sereine. Je suis morte d’angoisse, ne sachant trop qui à qui j’ouvre la porte. Patrick Moreau est là, énigmatique (béret sur la tête, petites lunettes rondes cerclées d’acier. Pas vraiment le look baba cool). De plus, il fait un froid de gueux (Nous sommes en Picardie, hé, hé). Jusqu’au dernier moment, j’ai proposé à M.-G. Micberth de tout annuler mais il a refusé. Alors, pour me rassurer, tout le temps de l’interview, il aura un revolver caché sous le coussin de son fauteuil. Précaution sans doute inutile, mais... Le tournage se passera très bien, et la journée se terminera fort tard, autour d’une table, à boire force pintes d’un mélange de bière et d’eau-de-vie (de toutes natures : pomme de terre, blé, poire, cerise, prune, pomme, raisin...). Micberth, stupéfait, épuisera toutes ses réserves d’alcool pour étancher la soif germaine.

La diffusion de l’émission sur la première chaîne de télévision allemande, d’abord prévue début juin, sera repoussée au 25 juin 1982, en raison du Mundial, ce qui ne laissera pas d’énerver Micberth. Pour preuve, le texte ci-dessous :

 

Hans et Greta

 

« J’ai contraint ma secrétaire à me labourer la poitrine de ses belles mains manucurées. Signe de désespoir. Les halls de la NDF résonnent de mes bruits de bottes rageurs. On m’entend dire pis que pendre du football et des boches. Hans et Greta allaient enfin goûter Micberth, produit politique qui n’est malheureusement réservé jusqu’ici qu’aux franchouillards de la troisième chaîne. Les hordes de uhlans allaient découvrir un führer digne du chancelier Adolphe. Et crac ! Le Mundial les prive de la divine surprise ! ça devait s’appeler « Konservativ oder radikal » et être télédiffusé à 20 h 15 – grande écoute – sur ARD, c’est-à-dire la première chaîne de télévision allemande. On y aurait vu votre serviteur, le menton bleui par la jugulaire, déambuler dans les allées de son beau château picard, ses bas-rouges écumants prêts à bouffer du serf. J’y avais mis le paquet – sottement d’ailleurs.

« Devant une équipe boche secouée de frénétiques frissons de ravissement, j’avais, face aux caméras, fait sauter à l’aide de ma winchester les trognes en latex de Mitterrand et Marchais.

« Puis, plus tard, devant un feu de cheminée, calé dans un fauteuil Louis XV (pas d’époque, hélas !), un verre de Perrier d’Epernay à la main, j’avais fait l’intelligent en expliquant doctement, par le menu, les grandes idées qui agitent le monde.

« Tout comme en France, les programmes allemands ont choisi de différer les émissions politiques au profit des retransmissions du Mundial. Je ne sais si je dois m’en réjouir ou m’en plaindre. Mes clowneries ont pu inspirer la réalisatrice allemande qui m’a peut-être présenté aux téléspectateurs allemands comme un vrai gugusse. » (Micberth in « Le Nouveau Pal » n° 15)

 

Quelques semaines plus tard, l’enregistrement de l’émission complète sur cassette vidéo nous parviendra. Stupeur ! D’entrée le commentateur annonce la couleur : « Pourquoi cet engouement soudain pour l’extrême droite ? » Sont interviewés Mgr Ducaud-Bourget (catholique tradi), Pierre Sergent (para), divers dirigeants et militants du Front national, de l’Oeuvre française, du Parti des Forces nouvelles, du GRECE, M.-G. Micberth étant le dernier à intervenir au nom de la Nouvelle Droite française. Le thème de l’émission était pourtant bien : « L’opposition nationale en France, définie par les responsables des forces parlementaires et extra-parlementaires ». Un piège pour tous les intervenants ! Le commentateur ne cessera de répéter en boucle sur les enregistrements les mots extrême droite, raciste, antisémite, fasciste, antidémocratique. « Mon racisme est un racisme intellectuel », explique Micberth, « Je préfère un Bantou intelligent à un Breton con. Je n’ai pas de préjugés racistes. » Peine perdue ! L’émission se terminera sur la conclusion suivante : l’ancienne et la nouvelle droite sont en train de tracer la voie vers un régime autoritaire. Que se passera-t-il pour la France si Mitterrand rate son coup ? (Nous sommes en 1982.)

Ou comment, en bon média, on peut grossièrement manipuler le téléspectateur !

Nous nous sommes souvent demandé pourquoi le Prof. Dr Patrick Moreau était venu interviewer Micberth, pour qui il travaillait. Après réception de la cassette, je n’eus aucune possibilité de le joindre à nouveau (pour le « remercier ») : il répondait aux abonnés absents. Aujourd’hui, Internet me donne quelques éléments de réponse. Docteur en histoire et en sciences politiques, directeur de recherche au CNRS, le jeune homme est devenu un politologue distingué, passionné par l’extrême droite, auteur de nombreux livres sur le communisme et les extrémismes en Europe. On le trouve aussi sur European-security.com. Tiens, tiens...


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« Konservativ oder radikal » sur Dailymotion

Interview de M.-G. Micberth diffusée sur ARD le 25 juin 1982