« De nos jours, sous l’influence de gugusses anglo-saxons, les psychiatres ne sont intéressés que par la dissociation schizophrénique. Il en résulte que la paranoïa qui ne trouble pas gravement l’ordre public n’est regardée chez les affabulateurs que comme un désagréable avatar du fort caractère. » Je découvre dans les archives un texte inachevé, commencé apparemment en 1995, où Micberth traite de « la folie lucide ».
On connaît le poète, le pamphlétaire, l’homme politique, l’éditeur. Mais on sait moins que Micberth s’intéressa de très près à la psychologie et à la psychothérapie dont il fit son métier au début des années 1970. Directeur de recherche indépendant, il ouvre un cabinet de psychologue en 1971 à Igny (dans le Cher) et devient membre du Syndicat national des psychologues praticiens. (Je vous rassure : il claquera la porte du syndicat très rapidement, en traitant le président d’escroc.) Il rencontre alors le docteur Jean Dussartre, neuropsychiatre, expert près les tribunaux, directeur de l’hôpital psychiatrique de Chezal-Benoît, qui lui propose de faire un stage dans son établissement.
Micberth écrit dans « Pardon... » : « Je pris donc mes fonctions dans les premiers mois de l’année 1971, comme psychothérapeute, spécialiste de la communication. On mit à ma disposition un bureau et je pus installer dans celui-ci un appareillage d’hypnothérapie par procédé électro-acoustique. On m’adjoignit un sociothérapeute, M. Jacques Tailliez. La direction de l’hôpital me confia la responsabilité psychothérapique d’une cinquantaine de malades mentaux. Très vite, je sus me faire aimer de ces malades et j’obtins des résultats qui donnèrent de grandes satisfactions au psychiatre avec qui je collaborais. »
Trente ans plus tard environ, il rendra hommage au docteur Dussartre : « C’était un humaniste ouvert à toutes les expériences, pourvu qu’elles fussent bénéfiques aux malades. Il nous apprenait à nous méfier des diagnostics hâtifs et hasardeux, à n’identifier presque jamais des symptômes pathologiques sans avoir procédé à de multiples recoupements, à de longues observations, etc. Il s’opposait en cela aux aliénistes de la vieille école qui dormaient avec leur dictionnaire de nosologie pratique et aux zazous anglophiles pour qui tout était schizophrénie. Un jour, je m’inquiétai de savoir ce qu’il pensait d’une sommité new look avec qui il avait partagé jadis quelques stages. Il me répondit laconiquement : « Il ne vous plairait pas. Il ressemble à un violoniste tzigane affamé. » J’ai d’autant plus de reconnaissance pour le médecin chef Dussartre, qu’il m’a offert en fin de parcours un certificat référentiel qui aurait fait rêver le plus exigeant de ses élèves. »
Il aura à Chezal-Benoît (où Antonin Artaud avait séjourné quelques mois) l’occasion d’étudier de près toutes sortes de malades, notamment ceux atteints de « délire systématisé », maladie dont souffrit sa grand-mère Louise-Appoline, internée au château d’Artigny, généreusement prêté par Coty (le parfumeur) à l’hôpital de Tours pour héberger les grands blessés de la guerre et les délirants. « Tout avait commencé par une série de dépressions, l’impression d’échecs successifs, puis la folie des grandeurs, les propos outrés, l’accusation non fondée que Mathurin-Marie (son époux) la rendait malheureuse ainsi que ses enfants, les inventions multiples, le délire systématisé, fiction remarquablement cohérente, qui donne une totale impression de véracité aux constructions délirantes de ces malades. Les haines irréductibles et subites, les accusations injustes et répétées contre grand-père qui était le meilleur des hommes. Les menaces, la volonté maladive de n’écouter que la voix de sa déraison, les autres étant des menteurs, tous les autres. Le désarroi, les chagrins, les envies de mort et la peur panique de mourir. Puis les engouements pour les personnes de passage, les étrangers ou pire, les voisines, accusées très vite de vouloir séduire grand-père qui, le pauvre homme, était pourtant d’une chasteté exemplaire. Tout cela coupé par des phases de psychorigidité, détachement et froideur, orgueil, méfiance et fausseté du jugement. »
Henri Ey, l’un des maîtres auquel Micberth se réfèrait alors, explique que « le délirant inducteur fait activement participer à son délire, à titre de délirant induit, des tiers, le plus souvent des proches. » Louise-Appoline mourra de faim en avril 1944 dans son bel asile, aujourd’hui hôtel 5 étoiles. Micberth comprendra longtemps après la triste fin de sa grand-mère et le terrible calvaire subi par ses proches.
Dans sa postface au « Pieu chauvache », Micberth écrit : « Un fou est celui qui ignore sa condition, son état. Dans le jargon du métier, on dit que son délire est systématisé. Ça veut dire que son système de valeurs est cohérent et qu’il peut convaincre ; les mégalos, par exemple, sont extraordinairement convaincants. On connaît les conséquences de ces délires systématisés sur le devenir des peuples. »
Les exemples pullulent, en effet. Faut-il citer des noms ?
Éloge de la folie
« Cela dura des mois.
« Puis un jour le délire me rendit justice. J’eus le besoin impérieux de descendre en moi-même et la forêt inextricable se referma sur moi. J’étais fou. Enfin. » (Extrait de Fol Mèque, 1973.)