Les extraterrestres ne seraient pas une légende, selon Nelson Monfort. Il a vu un ovni en 1983 ! OK. Ne discutons pas. C’était il y a longtemps et cela n’a fait de mal à personne. Et puis, sa mémoire peut lui jouer des tours. Mais que Stephen Hawking, « célèbre astrophysicien britannique », lance en 2015 un vaste programme pour trouver une intelligence extraterrestre et dépense 100 millions de dollars (soit 92 millions d’euros) pour ce faire, là, ça coince un peu. Certes, il n’est pas le premier à creuser la question et le sujet est récurrent. En 1974, Micberth dénonçait l’escroquerie dans l’hebdomadaire Minute qui lui donnait alors une pleine page pour s’exprimer. Le sujet est toujours d’actualité, quarante ans plus tard. Précision d’importance : à l’époque, on écrivait « extra-terrestre », alors qu’aujourd’hui il semble qu’on abandonne le trait d’union. Va savoir pourquoi...


Ovni soit qui mal y pense

 « Tout commença pour moi, par la sévère admonestation d’un instituteur de primaire cacochyme, et par le châtiment qui s’ensuivit : conjuguer à tous les modes et temps le verbe lancer dans la classe des objets volants, non identifiés par l’enseigneur. Ô laïcité précieuse !

« Objets non identifiés, certes, car mes petits camarades, aussi roués que moi-même, escamotaient avant que le maître ne les découvrît, mes projectiles de vaurien, gommes, règles, taille-crayons, porte-plume et frondes.

« J’étais cet enfant-là.

« Plus tard, allongé sur ma terre bretonne, le menton aux cépées, je lorgnais, au risque de m’énucléer, les korrigans qui, pleins de la science du grand Vatsyayana, dauffaient les sylphides avec la rage des lutins celtiques ; puis la nuit venue, j’étais la proie consentante, la chose des succubes, et je m’abandonnais aux jeux de ces diablesses jusqu’à ce qu’un panache d’écureuil me réveillât dans la rosée salée du matin.

« Puis, un jour, je devins grand, et l’on me transforma tout de go, le feu Saint-Elme en électricité statique, et les feux follets de La Petite Fadette en loi biologique de la phosphorescence. C’était foutu, je ne rêvais plus ; après George Sand, je découvrais... Auguste Comte.

« Depuis belle lure, résigné aux logiques glacées du scientisme et des technologies actuelles, j’avais balayé de mon imagination les kyrielles de momeries qui, autrefois, l’ensablaient. Or, par je ne sais quel caprice du sort, la France – que dis-je – le monde entier, se pique, aujourd’hui, d’observer et d’analyser des faits baptisés paranormaux. Ouiche ! rien que cela. 

« Sautant à deux gros pieds joints sur la belle occase, Claude Villers, pape de la radiophonie new-look, dans le cadre de son émission Pas de panique (humour typiquement français), régale quotidiennement, avec la complicité séraphique de Jean-Claude Bourret, les fanas du désuet fais-moi-peur-Simone et les inconditionnels du moderne paramachinchose vachement chiéchié.

« Comprenne qui pourra, moi j’y renonce.

« Bien qu’heureux propriétaire d’un esprit inexpugnable aux artifices et séductions de la gauche, je dois avouer, humblement et à ma grande honte, que j’avais éprouvé de la sympathie pour le grand talent de M. Villers. Il était un des derniers producteurs qui ne prenait pas forcément l’auditeur pour une triple buse, et avait su, pour le même tarif, créer un style d’émission fort séduisant.

« Et paf ! la macrofbaffe à travers la hure, les illusions perdues, tu vieillis fils !

« On passe sa chienne de vie à toujours se réveiller de quelque chose. Et là, le réveil m’est particulièrement odieux.

« Répugnant le défilé des pâles mythomanes, des paranoïaques systématisés et des petits délirants de tous poils, (de quoi composer un traité de nosologie psychiatrique) ; infâmes les montages des bandes magnétiques, collages composés pour l’exclusivité émotive, un tantinet vicelarde ; écoeurants, les commentaires sirupeux des deux commentateurs fripouilles ; ignoble, la complicité inexplicable des hommes de science égarés dans cette galère ; exécrable, le ton pathétique, et pourtant infatué, de l’énorme Cloco ; détestable, enfin, le succès malsain, voyeuriste (curieux puisqu’il s’agit d’écoute) d’une pareille cochonnerie radiophonique.


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« Soyons sérieux. Combien de ballons-sondes pris, par des hommes naïfs, au coucher du soleil, pour des objets volants non identifiés ? Combien de lumières physiologiques vertes, bleues, rouges ou violettes, confondues avec les formes humanoïdes des supposés extra-terrestres, personnages fantasmatiques que l’on trouve dans la sanie verbeuse des romans de science-fiction à bon marché ?

« Me permettrez-vous une anecdote personnelle, vite bâclée, en style télégraphique ?

« Quelques années déjà. Nuit très sombre. Jeunes hommes et jeunes femmes regagnent la demeure, immense bâtisse froide. Clair de lune faiblard. Soudain, apparaît forme lumineuse. Frayeur, puis débandade. Moi dans bureau, doigts de pieds en éventail, je lis. Précipitation derrière porte. Toc toc. « Entrez. » Collaborateur entre, essoufflé et terrorisé. « Asudam, vite, vite ». Je lève sourcils interrogateurs. « Une forme dans parc, immonde. Venez, vite ! » Je saute dans l’ombre. Tagadac. M’approche de la forme. C’est vrai, aspect repoussant. Je shoote dedans. Toutes mes forces, han. Patatrac. Bruits de poubelles. Jet d’immondices. Je pige. S’agit des restes, en grande quantité, de poissons de mer. Le phosphore. C’est tout.

« Voilà comment de jeunes hommes robustes et des jeunes femmes saines tremblèrent devant les simples restes de poissons pourris.

« Cette anecdote est strictement authentique. Parions que si je n’avais pas été présent, ces déchets, avec le temps et l’imagination, seraient devenus dans l’esprit de ces hommes et de ces femmes, un ovni de derrière les fagots.

« Un peu de courage et un minimum de connaissances suffisent pour ramener à de plus justes dimensions l’onirisme puéril des témoignages humains. Tout repose, en fait, sur la mise en condition. J’ai utilisé volontairement le style télégraphique pour ne point succomber à la tentation du nouvelliste : tenir en haleine, faire frissonner au cours d’un suspense longuet, puis annoncer la couleur en douche froide, c’est-à-dire la chute habile, terre-à-terre et rationaliste.

« Les enfants redoutent, mais, contradictoirement, adorent la peur. Nous sommes restés de grands enfants, perpétuellement en quête de frissons.

« Je n’ai pas la prétention, ici, d’expliquer l’inexplicable. Je reconnais que certains témoignages sont troublants. J’admets que la cosmogonie est une science imprécise. Il ne m’est pas désagréable de songer aux terres lointaines, aux astres reculés, peuplés de délicieuses petites femmes vertes. Je reste coquin et ouvert à toutes nouvelles sensations, à tous nouveaux vertiges sensuels. Mais de là à accréditer systématiquement les fantaisies des prophètes clownesques des pseudosciences, il y a le Rubicon... dans l’eau duquel je me lave les quenottes et recrache mes poissons morts.

« Je ne veux pas me prendre pour plus mec dur, vrai de vrai, balafré, bat d’Af’, etc., que je ne suis, mais j’ai la conviction que si je me trouvais devant une apparition soudaine, par réflexe je foncerais dessus, ne serait-ce que pour enrichir ma collection d’objets curieux ; une soucoupe volante dans mon salon serait du meilleur effet, moi qui rêve depuis toujours d’un martien porte-coton...

« Mais non, c’est à croire que nos petits amis de là-haut ne se livrent qu’aux débiles ou aux montagnards solitaires. Nous pouvons, d’ores et déjà, craindre les effets du bon goût de ces gens-là. Il nous faut reconnaître, sans complexe, que notre évolution culturelle a été plus rapide que la leur.

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« Mais oui bon sang ! Mais c’est bien sûr ! Tout s’explique maintenant.

« Il y a quelques mois, nous avions un président de la République dret, coquet, dynamique, un chouia playboy ; et aujourd’hui, il nous reste une sorte de machin ovoïde, un peu flasque, moumou, très peu ressemblant, en fait, au modèle d’origine. Voilà, ça y est, j’ai compris. On nous a chauffé notre président de la République, pour le remplacer par un extra-terrestre. Changer Messmer pour Messmer, par exemple, voilà une chose des plus curieuses. C’est bien là la décision d’un extra-terrestre programmé, décision hors de notre logique humaine.

« Mais oui, c’est cela. Vraiment. Pompidou est un martien*. Ce vaisseau spatial vu par de multiples témoins – souvenez-vous –, une énorme boule, c’est bien cet engin qu’il fallait pour contenir le premier des Français falsifié ? Comment avons-nous pu, jusqu’à ce jour, nous laisser abuser par cette minable copie ? Français, nous avons vraiment perdu, au fil des années, tout ressort.

« Les grippes fréquentes laissent à penser que l’organisme des martiens a du mal à s’accoutumer à notre atmosphère, à nos microbes et virus. Dans l’analyse des discours présidentiels, l’apparition des bourdes, lapsus, aberrations, impairs, boulettes, âneries, incorrections, balourdises, sottises, énormités, démontre bien une langue hâtivement assimilée sur quelque planète perdue. C’est ça. Un Pompidou factice est venu sur terre pour préparer l’invasion de notre planète par les extra-terrestres (...) »

(Micberth-Asudam. Extrait de l’article « Ovni soit qui mal y pense » paru dans Minute du 20 au 26 mars 1974, chronique « La moutarde au nez »)


*NDRL. Il serait inconvenant de rapporter la situation décrite en 1974 à celle de 2015.