Si la vigie est un veilleur, une sentinelle qui prévient du danger et permet de l'éviter, quelle différence fait-on avec le « lanceur d'alerte », né à la fin des années 1990, qui, ayant connaissance de ce danger, tire le signal d'alarme et informe les instances officielles, au risque de déplaire ? Peut-être est-ce une question de hauteur du poste d'observation, celui de la vigie se situant en haut de la hune. Où faut-il ranger, par exemple, Mame Buzyn, quand elle alerte en décembre 2019 ses « patrons » de la venue du terrible virus chinois ?

     « Ne nions surtout pas l'utilité des vigies... Et l'obstacle contourné, ne raillons pas leur message alarmiste. Sans elles, les navires iraient au naufrage », écrit Micberth en 1979 dans « Révolution droitiste ». Toute sa vie, il aura proclamé que si elle ne changeait pas ses valeurs, notre société courait à sa perte. « Dès à présent, écrit-il, nous devons mettre en avant l'intelligence et les sciences, et abattre l'industrialisation forcenée. L'éden industriel ne peut nous apporter qu'un bonheur relatif, une sorte de pastiche du bonheur et masquer ainsi, irrémédiablement, notre véritable raison de vivre. »

     « Briseur d'interdits ineptes », « déboulonneur d'idoles en carton-pâte », « bousculeur de mythes éculés » ? René Brassart, créateur de l'école Brassart qu'il fréquenta à Tours dans les années 60, déclare en 1978 : « Je reconnais que ce garçon-là était en avance (…) Il a pensé bien avant ce que l'on pense maintenant, aussi bien sur le plan graphisme, sur le plan moral, sur le plan contestation. Il est attachant, mais toujours dangereux. »

     Dangereux ? Pourquoi celui qui dénonce serait-il dangereux ? Le danger est-il vraiment du côté de celui qui annonce ? « La foi en l'homme ne suffit pas – et l'Histoire le prouve – à nous protéger de nos vices destructeurs. Il faut prévoir, puis convaincre chacun, enfin donner à tous le courage de changer de cap. Même au dernier instant », affirme Micberth.

     Vigie ou lanceur d'alerte, Micberth le fut dès les années 60. Il pressentit Mai 68 bien avant l'éclosion du mouvement. Trente ans plus tard, il écrira : « Depuis 1965, il y avait une réelle rébellion qui se fomentait. Et comme quelques observateurs minoritaires l'ont parfois décrite, elle trouvait son ferment dans toutes, je dis bien toutes, les couches idéologiques de la jeune société française. » Le 31 janvier 1968, il adresse une lettre à Georges Pompidou, alors Premier ministre, pour le prévenir. Peine perdue, sans doute.

     Aujourd'hui, la loi Sapin 2 de 2016 est censée protéger toute personne physique signalant une grave atteinte à l'intérêt général, qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave, une menace ou un préjudice grave. Micberth n'eut pas la chance d'être couvert par cette loi. A chaque fois qu'il dénonça les exactions, mensonges, délits de nos représentants, il subit des représailles, la liberté d'expression ayant manifestement ses limites, ses modes et ses lubies. Il écrit : « J'ai été trahi cent fois, insulté dans presque tous les journaux de l'hexagone, déformé, volé, plagié. On m'a jeté en prison, traîné devant les tribunaux, on a attenté à ma vie, à ma liberté de vivre, de dire et d'agir. »

     Sommes-nous vraiment « au seuil de la Violence grand V », et quelle vigie perchée suffisamment haut pourra empêcher le bateau de sombrer ? Ces mois du printemps 2020 vécus dans la plus totale absurdie du confinement n'ont rien de rassurant quant à l'évolution du monde. « Avec acharnement et sans me mettre en avant, j'ai cassé les angles réduits de la vision myope. J'ai impitoyablement pourfendu l'entendu, le conventionnel, la pensée unique, bref, j'ai déculotté les flics des idées », écrit Micberth en 1998. Un retour à la raison est plus qu'urgent aujourd'hui.

     « Si nous n'y veillons pas, un jour, dès potron-minet, nous nous éveillerons vidés de toute substance, châtrés couillons, dans une société au laïcisme suraigu, au matérialisme rigide. Nous aurons perdu tout ce qu'il nous fallait d'amour pour que notre génie rayonnât aux cœurs des meilleurs hommes de la terre, et les contraignît à se dépasser, à aller plus avant dans la quête exaltante du meilleur vivre, du meilleur respirer, du meilleur aimer. Ce jour est peut-être proche, le lendemain du grand soir... » Cette prévision date de 1974. Cri d'alerte ?

     (Sources : Révolution 70, Actual-HebdoMinute, « Micberth et le théâtre en question », « Révolution droitiste », « Pardon de ne pas être mort le 15 août 1974 ».)