C’est ainsi que « Le Quotidien de Paris » titra la grande enquête de Bertrand de Saint-Vincent publiée en juillet 1991 dans ses colonnes. Le volet II, qui parut le mardi 2 juillet, proposait deux portraits croisés de « Georges Micberth, anar (de droite), et de Guy Debord, situationniste (de gauche) ».  Il faut dire qu’être rebelle à l’époque ne consistait pas seulement à tomber la cravate à l'Assemblée en signe d’insoumission... En introduction, le chapeau : « Les rebelles en politique prennent le masque des extrêmes (voir « Le Quotidien » d’hier). Et la voie des urnes. Mais les bulletins de vote cachent souvent une rupture profonde avec les valeurs essentielles de la société actuelle. Une vie parallèle, une pensée parallèle ont vu le jour, loin des officines rassurantes du consensus. Tentative de clarification et portrait de deux révoltés, l’un qui défie le monde de son château, Georges Micberth, l’autre qui se défie du monde et fuit comme la peste la société du spectacle, Guy Debord. »

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     Sous la photo de Micberth (pour la circonstance rebaptisé Georges) qui illustre l’article, on lit : « Anar, barbu et un rien mythique, Georges Micberth est ce qu’on appelle un rebelle absolu. Nous sommes allés le voir dans son château, près de Paris. Personnage insolite, tonitruant, il nous a reçus dans son salon. Sur la cheminée trônaient des peluches, offertes par ses enfants. Récit d’un entretien peu consensuel. »

« On le trouve dans la Somme, à cent kilomètres de Paris, dans un château XIXe (le quatrième qu’il occupe depuis 1968). Il a la quarantaine, une épaisse barbe grise. Au physique il se situe quelque part entre Raspoutine et Michel Simon (dans « la Beauté du diable » de René Clair). L’hiver, il se promène en cape, il fut un temps où il ne sortait jamais sans son revolver. On est introduit chez lui par une gouvernante qui vous ouvre respectueusement la porte et vous fait asseoir en vous disant : « Monsieur va vous recevoir. »

« Georges Micberth est un anarchiste de droite, un rebelle version château. Ne le lui reprochez pas, il vous citera Barbey : « J’ai souvent été malheureux dans ma vie, je n’ai jamais enlevé mes gants. »

« Fermez le ban. Micberth est un bavard, il se raconte volontiers, il n’est pas loin de se prendre pour un héros. En fait, il s’aime terriblement : « J’y suis obligé pour vivre. Si un jour je me réveille en me disant “ je suis un salaud ”, je crois que je ne finirai pas la journée. »

« Rebelle donc, pour quelle cause ? Celle de l’individu, la valeur essentielle qu’on a oubliée ; « Il faut que chacun comprenne qu’il est seul et que c’est là sa merveille » ; partisan du pouvoir de l’intelligence ; défenseur de l’aristocratie comme système politique. « L’aristocratie, c’est quand le pouvoir est assumé par un groupe d’hommes, les meilleurs, dans l’intérêt général. »

« Car contrairement à la croyance commune, pour Micberth, non seulement la majorité n’a pas raison, mais son opinion et ses manières doivent être rejetées avec force : « Le peuple n’a pas de dignité. Il crie sans sourciller “ Vive le roi, vive la république, vive Pétain, vive de Gaulle, vive Giscard ”... Le peuple pue. Je ne suis pas du peuple et vous demande de ne plus en être. »

« La démocratie est une illusion, une imposture dangereuse. Le droit de vote égalitaire favorise les imbéciles, ultra-majoritaires, au détriment de l’élite. L’analyse micberthienne est sans appel : « Une société quelle qu’elle soit se compose de 3 % de gens intelligents. Le reste, ce sont des borderlines, des connards, incapables de penser par eux-mêmes. »

« Conclusion : « Le premier geste d’une société intelligente serait d’instituer un permis de voter. »

« Micberth parle à la mitrailleuse lourde, éliminant les idées à la mode comme autant d’insectes obscènes. Les droits de l’homme ? « Je ne sais pas ce que c’est. Je ne connais que les devoirs de l’homme. » La République ? « Je la vomis. J’ai un mépris total pour ce régime bâti sur les cadavres de centaines de milliers de Français. » L’ordre établi ? C’est le désordre. L’autorité, « parce qu’elle est artificielle et imposée », doit être contestée. « N’acceptez plus. Réveillez-vous, ne laissez plus les autres gâcher votre liberté. Vivez ! »

« Micberth n’y va pas avec le dos de la cuillère : «  Ces gens-là m’empêchent de vivre, de dire ce que j’ai envie de dire, que cela plaise ou non, à l’instant où j’ai envie de l’exprimer. » Ils doivent être balayés, avec leurs fausses valeurs, leurs interdits qui protègent les oligarchies au pouvoir, leur esprit bourgeois qui, par son refus du défi, « mène progressivement à l’anéantissement de l’espèce » : « Eux et moi ne faisons pas partie du même monde. Ce qu’ils imaginent palais, je le vois chiottes. »

« Faisans de télé, intellectuels satisfaits, bouffons de la république, il les insulte tous, les socialos, les cocos, les démagos. Même l’extrême droite ne trouve pas grâce à ses yeux : « Je la vomis. Je suis un féodal, un élitiste, un aristocrate, un individualiste... La droite populaire a du ventre, pue de la gueule, habite dans des pavillons encaustiqués et des enclos à patins pour les parquets et à chiens méchants pour la trouille. »

« Feu sur l’homme moderne, engoncé dans ses habitudes, sa morale frileuse, ses assurances vie et son prêt-à-penser. Il faut revenir à l’individu, lui rendre sa liberté, sa dignité, « retrouver la tradition fondamentale, celle de l’intelligence, de la protestation permanente, du refus du conformisme, de la liberté personnelle. » Sus « aux fisqueux, aux flics, aux uniformes, à l’éducation nationale et aux notables ». Ses enfants, Micberth ne les a pas mis à l’école. Opposé à l’armée républicaine, il a empêché des dizaines d’individus de faire leur service militaire : « Connaissant les symptômes de la schizophrénie, je la leur ai fait simuler. »

« Car la révolte, c’est une action permanente : « Dire non, sans arrêt, à ces gens qui m’empêchent d’exister ; ma rébellion, c’est ma vie. Un refus constant. »

« Heureusement tout cela ne l’empêche pas de vivre, d’avoir une gouvernante et d’aimer les femmes ; ni même d’être à la tête d’une prospère maison d’édition. « Un rebelle, ce n’est pas forcément un impuissant, un gueulard qui traîne sa misère dans des mansardes. C’est au contraire quelqu’un qui est puissant et qui dit merde. »

« Merde à la société démocratique et à ses chiens de garde. Merde à ceux qui nous cachent le soleil. Merde aux « borderlines » qui croient faire l’histoire. « Partout le futile, le nul, le désespérément salaud, la trahison... »

« Dans son château d’Omiécourt, Georges Micberth est un roi qui ne voit pas pourquoi il obéirait à des laquais. »

Volet n° 2 de l’enquête de Bertrand de Saint-Vincent paru dans « Le Quotidien de Paris » du mardi 2 juillet 1991. Photo S. Toubon.