« Le décalage toujours croissant entre la France dite profonde et les médias donne aujourd’hui un nauséeux vertige. On nous répète à longueur de journée que nous avons bien de la chance de vivre dans un pays protecteur des libertés et de l’égalité entre les hommes. Je regrette. Nous vivons dans un pays où la police des idées impose sa loi. »

Micberth écrit ces lignes en 1998 dans « Histoire locale », revue consacrée à l’histoire de notre pays. Las des incessantes poursuites judiciaires dont il est l’objet pour ses textes, il a alors cessé d’écrire des pamphlets pour se consacrer à son métier d’éditeur. C’est en 1986 qu’est née la collection « Monographies des villes et villages de France » dédiée à l’exhumation du patrimoine historique local, un projet (son « Grand Oeuvre », dira-t-il) qui lui tenait à coeur depuis pas mal d’années. « L’Histoire véritable est celle dont on retrouve les traces avant les faits, qui s’exprime par les faits eux-mêmes et non, trente ans plus tard, par les élucubrations des écrivains appointés. »

Pourtant, là encore, il rencontrera quelques tracasseries. Il écrit à propos des difficultés rencontrées par « Histoire locale », sage revue culturelle pourtant, où il aura l’occasion de s’exprimer : « Il faudra bien qu’on nous explique un jour clairement pourquoi une minorité de Français passe sa vie à désespérer l’innocence et à tuer tout ce qui n’est pas conforme à la bêtise ambiante. Parions que si cette revue avait été gauchisante, nihiliste, partisane, misérabiliste, elle serait passée devant la Commission paritaire comme une lettre à la poste. Malheureusement pour elle, elle a pour simple ambition de réconcilier les Français avec leur histoire locale, sans souci de mettre en avant telle ou telle idéologie. »

Sa vie durant, Micberth pratiquera le culte du passé, des racines, attachant une grande importance aux archives qui laissent des traces, indispensables témoignages sur la vie des hommes.

« Si, comme pamphlétaire, je n’ai guère été aimé au cours de ma vie, j’ai fait l’unanimité pour mon travail de directeur de collections ou d’éditeur. 6 000 articles de presse ont salué mon entreprise éditoriale : gauche, droite et parfois les extrêmes ont reconnu mon utilité, applaudi mon courage, exalté mon honnêteté. Merci, n’en jetez plus !

« J’ai simplement servi avec opiniâtreté la cause extraordinaire de la connaissance ; chercher, trouver et faire connaître au plus grand nombre.

« Avec acharnement et sans me mettre en avant, j’ai cassé les angles réduits de la vision myope. J’ai impitoyablement pourfendu l’entendu, le conventionnel, la pensée unique, bref, j’ai déculotté les flics des idées. »

Lorsqu’il a quitté ce bas monde, en 2013, la collection « Monographies des villes et villages de France » comptait 3 220 titres, dont un grand nombre de publications possibles grâce à la collaboration des conservateurs de bibliothèques et d’archives, des bibliophiles et collectionneurs.

D’autres collections viendront enrichir le catalogue des livres publiés par Micberth. Citons entre autres « Des faits et des hommes », « Histoire insolite », « Les grands méconnus », « Vieux parlers », collections résolument tournées vers le passé vu par le petit bout de la lorgnette, dédiées à la découverte et la préservation d’un patrimoine en voie de disparition.

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C’est avec tristesse qu’il vit s'éteindre au fil du temps de nombreux lecteurs âgés. Ce seront les enfants ou les petits-enfants qui répondront à ses mailings d’information sur les nouvelles parutions. Il écrit :

« De 1988 à 1998, nous avons perdu 10 000 de nos amis ; cela veut dire que ce lectorat, amateur d’histoire et en particulier d’histoire locale, n’a pas été renouvelé, ni par ses enfants ni par les étrangers qui, paraît-il, ne rêvent que de s’intégrer. C’est dramatique ! Nous disparaissons lentement mais sûrement, il en va, dit-on, de la volonté divine et nous ne laissons derrière nous que des bouffeurs d’images qui haïssent la culture comme nous méprisons leurs gesticulations (pardon, leur art), leur bruit (pardon, leur musique). D’un côté, nous mourons parce que le temps nous pousse et de l’autre, nous n’avons pas su nous reproduire. »

« Il m’est arrivé de publier à quelques dizaines d’exemplaires des ouvrages introuvables. J’ai voulu les mettre sur le marché à des prix défiant toute concurrence et qui sont ceux pratiqués par mes confrères qui éditent leurs titres de sciences humaines à plusieurs milliers d’exemplaires. Pari fou ? peut-être. Mais il est paradoxal de demander à ceux qui terminent leur existence et dont les ressources sont amputées de la moitié ou des 2/3, de dépenser des sommes folles pour perpétuer l’histoire écrite de leur pays. On me rétorquera l’idée bateau qui consiste à dire : « Oui, mais cher Monsieur, dans la vie active contemporaine, on se doit de tout mettre en oeuvre pour assurer sa réussite, faire vivre ses enfants, les mener le plus loin possible, leur laisser un patrimoine, voire se maintenir tout bêtement à son poste. On attend la retraite et son temps libre pour se consacrer à la lecture superflue. » C’est un sophisme voire une couennerie. Le livre n’est pas un produit de consommation comme un autre. On achète un livre de gare pour oublier un voyage pénible, se détendre dans un transatlantique, aider à s’endormir le soir. A l’opposé, on constitue une bibliothèque pour donner toutes ses chances à la circulation des idées, à l’exhumation des connaissances. Peu importe qu’un livre d’histoire dorme vingt ans dans des rayonnages, s’il doit être un jour ouvert pour être lu, aimé ou critiqué.

« Il est incontestable qu’une volonté organisée tente de nous détruire. La culture, c’est d’abord la rébellion ; l’ordre démocratique, qui se veut la vérité et le bien, n’aime pas les têtes qui dépassent et s’acharne à imposer la coupe réglée. Nous vivons dans un pays et sur un continent qui ont fait leur force par la singularité et la différence de leurs habitants. Or ce qui est singulier est anachronique pour l’idée mondialiste d’aujourd’hui. On tond les moutons de Panurge, on ne bat pas monnaie avec des rebelles.

« Le publicitaire qui veut cibler ses proies, les identifie par groupe de besoins. C’est ignoble ! On catégorise les différents acheteurs de papier hygiénique et on détruit ceux qui s’essuient avec des pétales d’edelweiss. »

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En conclusion, à l’ère du numérique et de la dématérialisation (Quel vilain mot !), préserver le patrimoine est plus que jamais nécessaire pour lutter contre l’oubli et restituer les vérités de l’Histoire.

« A la beauté brute des sites (...), il convient d’ajouter la grande richesse de notre histoire locale. Chaque pierre nous invite contre l’oubli au voyage dans le passé, chaque livre nous investit du pouvoir de conduire la machine à remonter le temps.

« Glaner jusqu’à l’épuisement dans les vastes prairies du patrimoine historique, recomposer patiemment chaque morceau de puzzle, rêver à ce qui nous a échappé et imaginer tout ce qui nous manque pour préparer scrupuleusement un avenir intelligent ou plus modestement, le moins bête possible...

« L’histoire donne des leçons. Tant pis pour les esprits chagrins et les cuistres, il y a des leçons de l’histoire et elles nous sont bien utiles. »

 Source : Micberth in Histoire locale,  (Édito et rubrique « Juste en passant ») 1997-1998.